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Isabelle Augé, CEMM (EA 4583)

 

Table des matières

I. Le contexte historique de la conquête arabe et des premiers Umayyades
II. Le lexique
III. Le contexte de l’opposition aux Abbassides
IV. Le lexique (II)
V. Annexe : Les termes employés dans la chronique de Łewond
VI. Bibliographie: Sources
VII. Bibliographie: Études
VIII. Notes


  1. L’alphabet arménien est créée au début du Ve siècle par le moine Mesrop Maštoc‘, dans un contexte politique difficile et sous la pression grandissante des Perses. Cette accession à la langue écrite permet de traduire, dans un premier temps, les saintes Écritures et des textes religieux, en particulier les écrits des Pères de l’Église. Puis, dans une situation toujours troublée, point la nécessité de raconter l’histoire nationale, vue comme une prolongation de celle du peuple élu1. Dans cette foisonnante historiographie arménienne, nous avons choisi, pour cette étude menée dans le cadre du programme de recherche en lexicographie historique consacré aux mots de la paix, l’ouvrage du vardapet Łewond, intitulé Discours historique. Ce choix s’explique par plusieurs facteurs : le premier, très prosaïque, est la parution récente d’une nouvelle édition scientifique, préparée par Alexan Hakobian, accompagnée d’une traduction et d’un commentaire historique très détaillé, réalisés tous deux par Bernadette Martin-Hisard 2.

  2. Au-delà, le choix résulte d’une réflexion sur la problématique : l’objet d’étude est la paix, la manière de la dire, de la formuler, de la penser, de la vivre. Le récit de Łewond, comme l’annonce la version développée de son titre, est un discours sur « l’apparition de Mahmet et de ses successeurs, comment et de quelle manière ils se rendirent maîtres de l’univers et particulièrement de notre nation arménienne »3. Il s’agit donc pour l’auteur de narrer non seulement les invasions arabes et leur lot d’exactions et de massacres, mais aussi la mise en place de la domination arabe, qui passe par l’établissement de textes qui fixent les conditions de reddition, les droits et les devoirs de chacun et, au-delà, la vie quotidienne des Arméniens, jouissant du statut de dhimmis, qui voient alterner des périodes calmes et d’autres plus agitées, où révoltes et répressions se succèdent et se répondent.

  3. Łewond, n’est connu que par ce qui transparaît de ses écrits, c’est-à-dire fort peu de choses4. Il est présenté comme un grand vardapet, donc un personnage qui occupe une place à part dans l’Église arménienne, prêtre et moine, versé dans les études théologiques et leur enseignement5. Son œuvre couvre une période qui commence à la mort du prophète Muḥammad en 632 et s’achève avec l’accession au catholicossat de Step‘annos, en 788/789. Bernadette Martin Hisard propose d’en situer la rédaction peu de temps après, dans la dernière décennie du viiie siècle, revenant à la thèse traditionnelle qui avait été remise en question par des travaux récents, notamment ceux de T. Greenwood, qui la plaçaient plus tard dans le temps6.

  4. Nous étudierons donc successivement les différentes étapes de la mise en place de la domination arabe sur l’Arménie en mettant en avant le lexique de la paix chez le vardapet Łewond, sans nous interdire d’aller quelquefois solliciter, à titre comparatif, les témoignages de certains de ses compatriotes, antérieurs ou postérieurs.

     

    I. Le contexte historique de la conquête arabe et des premiers Umayyades


  5. Les conditions de la reddition des Arméniens sont rapportées au tout début du récit dans un extrait à la chronologie douteuse, mais qui fait sans doute écho à un épisode historique bien connu, le traité signé en 651-652 par T‘ēodoros Ṙštuni. Ce dynaste arménien, qui s’était emparé du pouvoir à la faveur de l’affaiblissement des Perses, chercha d’abord, avec l’alliance des Byzantins, à stopper l’invasion, avant de se résoudre à traiter avec Mu‘āwiya, alors gouverneur de Syrie et de Mésopotamie7.

  6. Le texte de Łewond présente les événements comme suit :

    Mais le prince d’Ismaël écrit une lettre à notre pays d’Arménie : « Si vous ne payez pas tribut et si vous ne vous soumettez pas au joug de ma servitude, je vous exterminerai tous au fil de l’épée ». Alors les princes et les naxarars de notre pays, s’étant assemblés autour du patriarche d’Arménie Nersēs, le constructeur de Surb Grigor, acceptèrent de payer tribut à la tyrannie des ismaélites.

    Comme ceux-ci demandaient des otages, ils livrèrent deux naxarars d’Arménie, Grigor de la maison des Mamikonean et Smbat de la maison des Bagratuni.

    On les conduisit au prince des Arabes Mawea (Muawiya) et l’on négocia pour notre pays d’Arménie le versement annuel d’un tribut de 500 dahekan contre la possibilité de rester sans crainte là où l’on demeurait »8.

  7. La lecture de ce passage montre que l’on établit donc un traité9 qui règle les conditions de la conquête, accordant aux Arméniens le statut de dhimmī-s, qui leur concède des droits mais exige aussi des contreparties10. La seule contrepartie mentionnée ici est le versement d’un tribut annuel11, d’ailleurs faible, voire symbolique, accompagné de la remise d’otages. Les conquérants demandent donc surtout la soumission12 et ce terme revient constamment dans les discussions ultérieures.

  8. En contrepartie, et c’est surtout ce qui nous intéresse ici, les protagonistes arméniens obtiennent « la possibilité de rester sans crainte là où on demeurait ». Le résultat de la négociation est donc la sauvegarde de leurs biens et de leurs personnes. Le terme employé, celui de աներկիւղ (anerkiwł) signifiant littéralement sans peur, formé de երկիւղ (erkiwł) peur, précédé du privatif. Le statut obtenu permet donc, en échange d’un certain nombre d’éléments, qui sont ici très résumés, de vivre dans la sérénité et la quiétude, ce qui est une façon de dire que l’on vit en paix, mais assujettis. Ici l’auteur insiste surtout sur le caractère inévitable de la signature du traité qui propose donc la tranquillité comme alternative à la guerre et est accepté par les dynastes arméniens qui n’ont guère d’autre choix. Le Pseudo-Sebēos, seul chroniqueur antérieur, qui narre lui les événements survenus jusqu’en 655, est beaucoup plus critique envers le signataire arménien du traité, T‘ēodoros Ṙštuni. L’accusant d’avoir quitté l’alliance grecque pour se soumettre aux musulmans, il écrit : « Ils [les Arméniens] firent alliance avec la mort et conclurent un pacte avec l’enfer »13. Le Pseudo-Sebēos est également beaucoup plus détaillé sur les conditions concrètes du traité14. Ce dernier, daté de 652, auquel il est fait simplement allusion, et encore de manière hypothétique, au tout début du récit de Łewond, pose donc les bases d’un modus vivendi qui subit toutefois des variations en fonction de l’attitude des Arméniens et de celle des conquérants, le durcissement étant avéré avec l’arrivée au pouvoir des Abbassides en 750. La chronique de Łewond revient sur les conditions de la soumission lors d’un événement daté de 703, la visite du catholicos arménien Sahak au calife ‘Abd al-Malik b. Marwān Ier15.

  9. Ce déplacement du chef de l’Église répond à une inquiétude des dynastes arméniens qui, après avoir remporté une victoire militaire sur les Arabes, voient le frère du calife, Muhammad b. Marwān, arriver dans leur pays à la tête d’une armée. Ils persuadent alors le catholicos de se déplacer et de jouer le rôle de médiateur qui lui est traditionnellement dévolu. Ils l’envoient faire la paix et se soumettre au joug de leur servitude. Sur le trajet, le catholicos tombe malade et, sentant sa fin proche, il décide d’écrire une lettre au calife, dont Łewond reproduit la teneur :

    « J’ai été envoyé à ta rencontre par ma nation pour dire devant toi mes résolutions, ce que les naxarars et le petit peuple des Arméniens te demandent unanimement. Mais Celui qui est l’intendant de la vie s’est hâté de m’enlever auprès de lui et je n’ai pas eu le temps de te rencontrer et de parler avec toi. Mais maintenant, je t’adjure par le Dieu vivant et je fais avec toi le pacte d’alliance que Dieu fit avec votre père Ismaël, par lequel il promit de lui donner l’univers en servitude et sujétion : fais la paix avec mon peuple et ils te serviront en versant tribut, interdis le sang à ton épée et le pillage à ta main et ils t’obéiront de tout leur cœur ; mais, en ce qui concerne notre foi, que nous ayons le pouvoir de garder ce en quoi nous avons cru et que nous avons confessé et que personne sous ton autorité ne nous tourmente pour nous détourner de notre foi. Maintenant, si tu accomplis ce dont je te prie, le Seigneur fera prospérer ton empire et les desseins de ta volonté s’accompliront et le Seigneur fera obéir tous ceux qui sont sous ton autorité. Mais si tu ne veux pas écouter mes paroles et si tu conçois le projet pervers de te dresser contre mon pays, le Seigneur dissipera tes desseins – et puissent les pas de tes pieds n’être plus assurés – il détournera le cœur de tes troupes pour qu’elles n’exécutent pas tes volontés et il te suscitera de tous côtés des oppresseurs – et puisse ton empire perdre sa stabilité ! Maintenant ne dédaigne pas ma requête et mes bénédictions seront sur toi ! »16

  10. Dans son commentaire de l’œuvre de Łewond, Bernadette Martin-Hisard insiste sur l’importance de cette missive qui a ensuite servi de base pour la définition des relations arméno-arabes.

     

     

    II. Le lexique


  11. Les termes du registre de la paix sont ici particulièrement présents. La première condition pour parvenir à cet état est la servitude ծառայութիւն (caṙayut‘iwn) et la sujétion հնազանդութիւն (hnazandut‘iwn). En échange de cette soumission complète, le calife doit faire la paix, ou plutôt la refaire. L’expression employée est « fais la paix » արասցես խաղաղութիւն (arasc‘es xałałut‘iwn). Le verbe faire est ici employé au futur II avec un sens exhortatif, voire impératif. Si la paix est établie, et c’est la condition sine qua non, alors les Arméniens paieront le tribut. La paix est également présentée par le catholicos comme une condition permettant la prospérité du califat qui, si elle n’est pas respectée, entraînera les foudres divines. Le catholicos propose donc ici des règles de vie, acceptant de se soumettre sur le plan politique en échange de cette paix sociale, religieuse et civile.

  12. Certaines périodes, soulignées dans l’ouvrage de Łewond, répondent en effet parfaitement à ce schéma. La première remonte assez haut dans le déroulement chronologique des événements, au moment de l’établissement de la conquête, sous le califat de Mu‘āwiya. Łewond écrit : « Il y eut une longue paix sous le principat [de Mu‘āwiya] »17. Le terme employé pour désigner la paix est le terme très classique de խաղաղութիւն (xałałut‘iwn), un nom commun ici au nominatif : la paix est établie. Bernadette Martin-Hisard a rendu par « longue » l’adjectif qui précède, բազում (bazum) qu’on pourrait aussi traduire par grande, le terme signifiant littéralement « beaucoup ». Il est en tout cas intéressant de noter que Łewond, lorsqu’il écrit ceci, envisage la paix à l’intérieur du Dār al-islām puisque le calife Mu‘āwiya mena par ailleurs de très nombreuses guerres, en particulier contre les Byzantins. L’auteur, lorsqu’il souligne la paix, envisage donc la paix civile, le calme et la tranquillité dont jouissent les dhimmī-s dans les pays d’Islam, et en aucun cas la paix au sens diplomatique.

  13. Sous le califat de Mu‘āwiya, est désigné, pour l’Arménie, un représentant autochtone, qui obtient le titre de prince d’Arménie, en la personne de Grigor Mamikonean (661-685). Là encore, le chroniqueur insiste sur l’âge d’or représenté par ce principat en ces termes :

    « Durant son principat, Grigor, prince d’Arménie, assura la paix à notre pays d’Arménie face à tous les pillards et aux attaques ; car c’était un homme qui avait la crainte de Dieu et qui aimait les étrangers aussi bien que ses frères, prenait soin des pauvres et était parfait dans la foi et la piété »18.

  14. Le terme employé ici, qui est traduit par « assura la paix » est le verbe խաղաղացուցանեմ (xałałac‘uc‘anem) qui signifie « pacifier ». C’est un verbe factitif, formé à partir du verbe խաղաղանամ (xałałanam), « être en paix, paisible ». On a rajouté au radical aoriste du verbe le suffixe –ուցանել (uc‘anel). L’auteur, qui est un docteur de l’Église arménienne, explique la réussite de Grigor Mamikonean par la grande piété dont il sut faire montre. Cette constatation est reprise dans l’historiographie postérieure, notamment par le catholicos historien Yovhannēs Drasxanakertc‘i, qui le présente comme un « homme pieux et craignant Dieu » et ajoute qu’il fut « auteur de très honorables règlements et directives [promoteur] de prospérité19 et de paix20, de sécurité21 et de plénitude22 en toutes choses »23. Si la description faite ici peut sembler idyllique, il faut tout de même noter qu’elle correspond à une réalité puisque le pays n’est alors l’objet d’aucune incursion arabe, pas plus que d’opérations menées par les Byzantins. Le problème khazar n’est, quant à lui, réellement dangereux qu’à partir de 685. La paix à l’intérieur des frontières d’Arménie est donc bien réelle et se traduit d’ailleurs par un développement architectural notable avec la construction, dans le territoire arménien, de nombreuses églises, comme le note d’ailleurs ici l’auteur, dans la suite du passage cité, en expliquant que Grigor Mamikonean fit construire une grande église à Aruč24.

  15. Ce résultat s’explique donc par la capacité du prince arménien à assurer la paix. Le même verbe factitif est employé par l’auteur un peu plus loin dans son récit, lorsqu’il revient sur le califat d’‘Umar II (717-720), huitième souverain de la dynastie des omeyyades. Lewond écrit qu’il assura la paix dans les pays qui étaient sous son principat25.

  16. On retrouve enfin le même verbe խաղաղացուցանեմ (xałałac‘uc‘anem) lorsque Łewond s’arrête sur le règne du calife Hishām (724-743) qui nomme, en 732, un gouverneur pour l’Arménie, en la personne de Marwān b. Muḥammad. Lorsque ce dernier arrive, il est accueilli par les dynastes arméniens et échange avec eux des « paroles de paix »26. Puis l’auteur s’attarde un peu sur son action dans la province d’Armīniya, désormais bien instituée, qui réunit l’Arménie (avec Dvin pour centre), la Géorgie orientale (avec Tbilissi) et l’Albanie27 :

    « Et lui-même, maître de notre pays, pacifia tous les assauts de la violence ; il fit couper les pieds et les mains des fauteurs d’injustices, des brigands, des voleurs et des ennemis de l’ordre et les condamna à mort par le bois »28.

  17. Le verbe qui est ici traduit par « pacifia » est le même factitif խաղաղացուցանեմ (xałałac‘uc‘anem). Il est intéressant d’insister, avec Bernadette Martin-Hisard, sur le fait que Łewond nous montre ici Marwān b. Muhammad non comme un chef de guerre mais comme un gouverneur civil qui veut mettre de l’ordre dans le pays. Il est là pour maîtriser les troubles à l’ordre public et est sans doute, dans cette tâche, aidé par les quḍāt chargés de faire régner un ordre conforme à la sharia29. On ne se trouve plus ici dans un contexte de conquête de territoire, qui amène les vainqueurs et les vaincus à négocier les termes d’un protectorat, mais dans un contexte de gestion directe d’un territoire soumis, dans lequel il faut faire régner l’ordre.

  18. Au-delà des périodes de calme qui offrent la meilleure entrée pour étudier le lexique de la paix, il faut également se pencher sur un autre type d’événements très intéressants qui sont les révoltes ou les préparations de révoltes contre le pouvoir en place, ici le califat. Il est alors possible de voir, dans les discussions et les confrontations qui animent les révoltés potentiels, les différents points de vue qui coexistent quant à cette paix établie par le vainqueur.

     

    III. Le contexte de l’opposition aux  Abbassides


     

  19. Le contexte de la mise en place et de l’installation du pouvoir abbasside est particulièrement propice à ce type de réaction de la part des Arméniens. Dans les années 748-749 d’abord, alors qu’Ašot (III) Bagratuni est prince d’Arménie pour le compte du califat, les autres dynastes, en particulier Grigor et Dawit‘ Mamikonian, veulent profiter des dissensions internes au califat pour secouer le joug et se révolter. Représentant du califat, le prince Bagratuni est très circonspect à l’égard de cette idée qu’il juge vouée à l’échec. L’auteur rapporte alors le discours supposé avoir été prononcé par le même prince et adressé à chacun des dynastes. Dans cette harangue, la situation est présentée d’une manière très manichéenne. La première option, la révolte, qualifiée d’idée extravagante, entraînera de manière certaine « souffrances et calamités ». Au contraire, Ašot explique que, si chacun reste à sa place, et si les Arméniens continuent à verser le tribut, alors ils garderont leurs possessions, propriétés, vignes, forêts et champs30. Cette volonté de statu quo qui préserve un état de calme est approuvée par l’auteur qui, à plusieurs reprises, qualifie ce conseil de « sage ». La révolte est d’ailleurs tuée dans l’œuf du fait de la mésentente entre les protagonistes arméniens qui se réfugient pour certains en terre byzantine.

  20. Trois décennies plus tard, en 774-775, une révolte est à nouveau échafaudée, dans un contexte différent. Elle s’inscrit dans le refus de l’augmentation de la pression califale sous la domination abbasside. Celle-ci est bien réelle lorsque le calife envoie son frère ‘Abdallāh b. Muḥammad comme gouverneur de la province d’Arminīya. Il augmente considérablement les impôts, tout comme son successeur Yazīd b. Usayd31. Le premier à se révolter est Artawazd Mamikonian qui trompe le gouverneur arabe en lui faisant croire qu’il partait en campagne au service du calife et fait ainsi équiper ses cavaliers à l’aide de l’arsenal public puis attaque le collecteur d’impôt de Kumayrī. D’autres princes se joignent à lui, une assemblée se réunit lors de laquelle les conjurés se prêtent mutuellement serment. Ils sont confortés dans leur décision par les agissements d’un moine qui prédisait à qui voulait l’entendre la fin de la domination arabe. Mais, comme précédemment, la belle unanimité est rompue par un Bagratuni, neveu d’Ašot III, prénommé lui aussi Ašot. Comme plus haut, l’auteur donne la parole au prince qui, dans une longue harangue, expose ses arguments. La partie intéressante du discours, pour notre propos, porte sur la nécessité de rester sous le joug des Arabes, dans l’optique de rester en paix :

    « Mais maintenant, si cela vous agrée, acceptez mon conseil, car c’est votre intérêt, les besoins et la sécurité de notre pays que j’ai en vue ; telle sera en effet pour vous l’issue de cette entreprise : ou bien revenir et rentrer sous leur sujétion, vous tenir tranquilles32 et vivre en paix33, ici, sur votre terre ; ou bien abandonner votre terre en fuyant avec toute votre famille, quitter et laisser l’héritage de vos pères, vos demeures, forêts et champs, ainsi que les tombes de vos pères, et aller vivre en exil sous le roi des Grecs »34.

  21. Ašot reprend donc un argumentaire identique à celui de son oncle et prédécesseur ; seule l’alternative à la sujétion diffère, plus haut le prince proposait les souffrances, ici c’est l’exil dans le pays des Grecs qui attend les révoltés. Bernadette Martin-Hisard, dans son commentaire de l’œuvre, note avec justesse que l’on retrouve quelque chose du vieil idéal biblique de paix : « habiter en sécurité, chacun sous sa vigne et sous son figuier »35. Elle rappelle ainsi que c’était l’idéal proposé par le roi d’Assyrie aux Juifs : « Faites la paix avec moi, rendez-vous à moi et chacun mangera de sa vigne et de son figuier, chacun boira de l’eau de sa citerne »36. Les deux princes de la famille des Bagratuni veulent donc à tout prix préserver la relative tranquillité instaurée lors de la mise en place de la domination musulmane, remise en cause par les velléités de révolte de leurs compatriotes.

  22. Comme précédemment, l’auteur approuve pleinement cette position puisqu’il qualifie Ašot d’« homme à l’esprit sensé » et la révolte de « projet funeste » animé en sous main par les « conseils pernicieux » d’un « moine insensé ». Cette remarque pose bien entendu la question de la position des milieux ecclésiastiques par rapport à la guerre, au recours aux armes, à la violence et, plus largement à la domination d’un autre peuple et à la sujétion.

     

    IV. Le lexique (II)


  23. En se plaçant d’un point de vue strictement lexicographique, il faut noter le caractère assez pauvre de l’œuvre étudiée pour ce qui concerne le champ lexical de la paix. Ce sont les termes formés à partir de խաղաղ (xałał) qui dominent nettement. Le nom, xałałut‘iwn se retrouve au nominatif, à l’instrumental, et au génitif. Il faut d’ailleurs signaler à ce propos une expression employée par Łewond, et que nous n’avons pas recensée, qui est celle de « pacte de paix » (Ուխտ խաղաղութեան/ uxt‘ xałałut‘ean)37, utilisée pour décrire l’accord conclu, en 763, entre le gouverneur arabe de l’Arménie Yazīd et les Khazars38. Sur ce radical est également formé le verbe factitif « pacifier » que nous avons recensé à plusieurs reprises. Par cet emploi exclusif, l’auteur se différencie à la fois de son prédécesseur Sebēos, et du chroniqueur plus tardif Yovhannēs Drasxanakertc‘i, qui emploient aussi xałałut‘iwn, mais n’hésitent pas à traduire l’idée de paix par des synonymes, հաշտութիւն (haštut‘iwn) et շինութիւն (šinut‘iwn). Sans recherche poussée dans les œuvres de ces auteurs il est pour le moment impossible d’en dire plus sur cette divergence que l’on ne peut que constater.

  24. Au-delà de l’étude terminologique, c’est la question de la paix et de sa perception qui est posée. Elle paraît envisagée ici comme une absence de guerre dans un territoire soumis alors que le vainqueur continue à lutter contre les États voisins. Certains personnages, auxquels l’auteur semble appartenir, s’y rallient de plus ou moins bonne grâce, la considérant comme un moindre mal, alors que d’autres profitent de tous les changements de contexte pour tenter de secouer le joug de la domination arabe. Finalement, la seule paix réelle, assortie d’une grande stabilité et d’une période de prospérité, est effective sous le principat de Grigor Mamikonian, qui prend fin en 685.

  25. Il convient donc maintenant de systématiser les études aux grands auteurs de l’historiographie arménienne pour tenter de voir émerger des constantes, des variations et des évolutions dans le lexique et son emploi et dans la conception de la paix, sous gouvernement arménien (par exemple lors de la restauration de la royauté entre 884 et 1045) ou sous domination étrangère (sassanide, arabe ou mongole).

     

    V. Annexe : Les termes employés dans la chronique de Łewond


(Toutes les références sont données par rapport à l’ouvrage suivant : Łewond vardapet. Discours historique traduit et commenté par Bernadette Martin-Hisard (avec en annexe La correspondance d’Omar et de Léon, traduite et commentée par Jean-Pierre Mahé), texte arménien établi par Alexan Hakobian, Edition du Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 49, Paris, 2015, cité Łewond vardapet. Discours historique).

Anerkiwł, աներկիւղ (adj.) : Qui ne craint pas, sans peur, sans crainte. Peut être employé, comme dans l’exemple ci-dessous, avec le verbe Mnal (rester), dans le sens de vivre dans la tranquillité, protégé. Dans le contexte de la mise en place de la domination musulmane il désigne alors la condition du dhimmī  (protégé).

Exemple :

Եւ տարեալ զնոսա առ իշխանն Տաճկաց Մաւեայ հատին ի վերայ աշխարհիս Հայոց հարկս Շ դահեկան ի միում ամի հատուցանել նոցա, եւ աներկիւղ մնալ ի բնակութիւնս իւրեանց

Ew tareal znosa aṙ išxann Tačkac‘ Maweay hatin i veray ašxarhis Hayoc‘ harks Š dahekan i mium ami hatuc‘anel noc‘a, ew anerkiwł mnal i bnakut‘iwns iwreanc‘.

On les conduisit au prince des Arabes Mawea [Mu‘āwiya] et l’on négocia pour notre pays d’Arménie le versement annuel d’un tribut de 500 dahekan contre la possibilité de rester sans crainte là où l’on demeurait.

Référence : Łewond vardapet. Discours historique, éd. p. 25-27, trad. p. 26.

Harkim, -ec‘i, հարկիմ, -եցի (verbe) : Payer tribut, être forcé, obligé (verbe formé sur Hark, -ac‘, tribut, impôt, taxe).

Exemple :

Եթէ ոչ հարկեսջիք ինձ եւ ոչ անկջիք ընդ լծով ծառայութեան իմոյ, ի սուր սուսերի մաշեցից զամենեսեան 

Et‘ē oč‘ harkesǰik‘ inj ew oč‘ ankǰik‘ ǝnd lcov caṙayut‘ean imoy, i sur suseri mašec‘ic‘ zamenesean.

Si vous ne me payez pas tribut et si vous ne vous soumettez pas au joug de ma servitude, je vous exterminerai tous au fil de l’épée.

Référence : Łewond vardapet. Discours historique, éd. p. 25, trad. p. 24.

 Hrovartak, -ac‘, հրովարտակ, -աց (nom commun) : Lettre officielle, édit, décret émanant d’un souverain ou de son représentant. Dans le contexte de l’exemple donné ci-dessous, il s’agit, pour le calife, d’obtenir la reddition de l’Arménie et de conclure un traité.

Exemple :

Իսկ իշխանն Իսմայելի գրէ հրովարտակ յաշխարհս Հայոց

Isk išxan Ismayeli grē hrovartak yašxarhs Hayoc‘.

Mais le prince d’Ismaël écrit une lettre à notre pays d’Arménie.

Référence : Łewond vardapet. Discours historique, éd. p. 25, trad. p. 24.

Uxt, -ic‘, Ուխտ, -ից (nom commun) : Terme qui signifie vœu, souhait, et en est venu à prendre, par glissement, deux sens : le premier est celui, qu’il faut comprendre ici de « pacte, traité », le second, très souvent employé dans l’historiographie arménienne pour désigner les communautés monastiques, d’ « ordre, congrégation ».

Exemple :

Եւ միչդեռ ունէր զհրամանատարութիւն իշխանութեանն Եզիտ, յղէր դեսպան առ արքայն հիւսիսոյ, որում Խաքանն կոչէր, եւ խնդրէր առնել խնամութիւն ընդ նմա, որպէս զի ի ձեռն այնորիկ արասցէ ուխտ խաղաղութեան ընդ նմա եւ ընդ զաւրս Խազրաց

Ew minč‘deṙ unēr zhramanatarut‘iwn išxanut‘eann Ezit, yłēr despan aṙ ark‘ayn hiwsisoy, orum Xak‘ann koč‘ēr ew xndrēr aṙnel xnamut‘iwn ǝnd nma, orpēs zi i jeṙn aynorik arasc‘ē uxt xałałut‘ean ǝnd nma ew ǝnd zawrs Xazrac‘.

Et tandis que Ezit [Yazīd] exerçait le pouvoir de gouverneur, il envoya un émissaire au roi du Nord que l’on appelait Kaghan et lui demanda de faire avec lui une alliance matrimoniale afin de conclure de cette manière un pacte de paix avec lui et avec les troupes des Khazars.

Référence : Łewond vardapet. Discours historique, éd. p. 149, trad. p. 148.

Xałałut‘iwn, -ean, խաղաղութիւն, -եան (nom commun) : paix, calme, tranquillité, repos. C’est le terme le plus fréquemment employé dans les sources arméniennes pour désigner la paix, quelle que soit la période envisagée.

Exemple :

Եւ եղեւ բազում խաղաղութիւն յաւուրս նորա իշխանութեանն

 Ew ełew bazum xałałut‘iwn yawurs nora išxanut‘eann

Et il y eut une longue paix durant le principat [de Mu‘āwiya]

Référence : Łewond vardapet. Discours historique, éd. p. 27, trad. p. 26.

Expression employant ce terme :

Keal xałałut‘eamb, կեալ խաղաղութեամբ : être en paix, vivre en paix, le terme se trouve alors à l’instrumental :

Exemple :

Զի այս լինի ելք գործոյդ կամ դառնալ ձեզ եւ մտանել ընդ հնազանդութեամբ նոցա եւ հանդարտել եւ կեալ խաղաղութեամբ յերկրիս ձեր, եւ կամ մերժել փախստեամբ մամաւրէն ընտանեաւք յերկրէս ձերմէ եւ լքանել

Zi ays lini elk‘ gorcoyd kam daṙnal jez ew mtanel ǝnd hnazandut‘eamb noc‘a ew handartel ew keal xałałut‘eamb yerkris jer ew kam meržel p‘axsteamb mamawrēn ǝntaneawk‘ yerkrēs jermē ew lk‘anel.

Telle sera en effet pour vous l’issue de cette entreprise : ou bien revenir et rentrer sous leur sujétion, vous tenir tranquilles et vivre en paix, ici, sur votre terre ; ou bien abandonner votre terre en fuyant avec toute votre famille.

Sur ce terme est formé le verbe xałałanam, խաղաղանամ, être en paix, paisible, dont le factitif est souvent employé dans le sens d’« assurer la paix »

Xałałac‘uc‘anem, խաղաղացուցանեմ (verbe), pacifier, assurer la paix, calmer

Exemple :

Իսկ Գրիգոր իշխանն Հայոց յաւուրս իւրոյ իշխանութեանն խաղաղացոյց զաշխարհս Հայոց յամենայն հինից եւ յարձակմանց

Isk Grigor išxan Hayoc‘ yawurs iwroy išxanut‘eann xałałac‘oyc‘ zašxarhs Hayoc‘ yamenayn hinic‘ ew yarjakmanc’.

Mais, durant son principat, Grigor, prince d’Arménie, assura la paix à notre pays d’Arménie face à tous les pillards et aux attaques.

Référence : Łewond vardapet. Discours historique, éd. p. 29, trad. p. 28.

 

VI. Bibliographie: Sources


Drasxanakertc‘i, Yovhannēs Patmut‘iwn Hayoc‘, dans Matenagirk‘ Hayoc‘, ŽA hator [vol. 11], Ant‘ilias (Liban), 2010, p. 317-584, traduction française Patricia Boisson-Chenorhokian, Histoire d’Arménie. Introduction, traduction et notes, CSCO  vol. 605, Subsidia t. 115, Louvain, 2004.

Łewond vardapet. Discours historique traduit en français et commenté par Bernadette Martin-Hisard (avec en annexe La correspondance d’Omar et de Léon, traduite et commentée par Jean-Pierre Mahé), texte arménien établi par Alexan Hakobian, Édition du Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 49, Paris, 2015.

Łewond vardapet, idem, traduction anglaise : Z. Arzoumanian, History of Łewond, the Eminent Vardapet of the Armenians, Philadelphie, 1982.

Matenagirk‘ Hayoc‘, D. Hator [vol. IV], Ant‘ilias, 2005.

Matenagirk‘ Hayoc‘, ŽA hator [vol. 11], Ant‘ilias (Liban), 2010

, traduction française Patricia Boisson-Chenorhokian, Histoire d’Arménie. Introduction, traduction et notes, CSCO  vol. 605, Subsidia t. 115, Louvain, 2004

 

VII. Bibliographie: Études


Eddé, A.-M., Micheau, F., et Picard, Ch., 1997, Communautés chrétiennes en pays d’islam du début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris.

Greenwood, T., 2012, « A Reassessment of the History of Łewond », Le Museon 125, p. 99-167.

Kévorkian (dir.), 1996,  Arménie entre Orient et Occident. Trois mille ans de civilisation, Paris.

Łewondyan, Aram Ter , 1977, « Arminiayi ostikanneri žamanakagrut‘yunǝ » (Chronologie des ostikans d’Arménie), Patma-Banasirakan Handes.

1996,  « Connaître la sagesse : le programme des anciens traducteurs arméniens », dans R. H. Kévorkian (dir.), Arménie entre Orient et Occident. Trois mille ans de civilisation, Paris, p. 40-61.

Mahé, J.-P., 1996, « Le problème de l’authenticité et de la valeur de la chronique de Łewond », dans L’Arménie et Byzance. Histoire et culture, (Byzantina Sorbonensia – 12), Paris.

Mahé, J.-P., 2012, « Entre Moïse et Mahomet. Réflexions sur l’historiographie arménienne », REArm 23.

Mahé, J.-P., 2012, Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Paris.

Mardirossian, A, 2004, Le livre des canons arméniens (Kanonagirk‘ Hayoc‘) de Yovhannēs Awjnec‘i. Église, droit et société en Arménie du IVe au VIIIe siècle (CSCO vol. 606, Subsidia 116), Louvain.

Martin-Hisard, B., 1996, « L’empire byzantin dans l’œuvre de Łewond », dans L’Arménie et Byzance. Histoire et culture, (Byzantina Sorbonensia – 12), Paris.

 

VIII. Notes


1. Par exemple : J.-P. Mahé, 1996, p. 40-61 et Id, 1992, p. 121-153.

2. Łewond vardapet. Discours historique (désormais cité Łewond vardapet).

3.Պատմաբանութիւն Ղեւոնդեա(յ) մեծի վարդապետի հայոց, որ յաղագս երեւելոյն Մահմետի եւ զկնի նորին թէ որպէս եւ կամ որով աւրինակաւ տիրեցին տիեզերաց, եւս առաւել թէ հայոց ազգիս :  (Patmabanut‘iwn Łewondea(y) meci vardapeti hayoc‘, or yałags ereweloyn Mahmeti ew zkni norin t‘ē orpēs ew kam orov awrinakav tirec‘in tiezerac‘, ews aṙawel t‘ē hayoc‘ azgis). Ce titre est attesté dès le début de la tradition manuscrite au tournant du xiiie et du xive siècle.

4. Voir en dernier lieu l’introduction de Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, p. 263-270. On peut également citer des travaux plus anciens, par exemple J.-P. Mahé,1996, p. 119-126 et B. Martin-Hisard, 1996, p. 135-144.

5. Sur le statut de vardapet voir le chapitre intitulé « La voie des Maîtres : le vardapet », dans A. Mardirossian, 2004, p. 133-139.

6. T. Greenwood, 2012, p. 99-167.

7.Sur cet épisode voir A. et J.-P. Mahé, 2012, p. 104-108.

8.Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 24-26, trad. p. 25-27

9. Le terme employé est celui de Հրովարտակ (Hrovartak) qui désigne en arménien une lettre officielle ou un édit.

10. Pour la présentation de ce statut de dhimmī et sa mise en place lors de la conquête arabe, voir A.-M. Eddé, F. Micheau et C. Picard, 1997, p. 55-60.

11.Le calife écrit : « Si vous ne payez pas tribut » : le verbe est celui de հարկիմ (harkim) qui signifie « servir, payer tribut, mais aussi être forcé, obligé ».

C’est le passif de հարկեմ (harkem) qui signifie « forcer, obliger, rendre tributaire », le tout venant de հարկ (hark) « tribut, impôt, taxe ».

12. Ծառայութիւն (caṙayut‘iwn) : servitude

13. Sebēos, Patmut‘iwn [Histoire], p. 449-565, ici p. 554 : եդին ուխտ ընդ մահու, եւ ընդ դժոխոց կռեցին (edin uxt‘ ǝnd mahu ez ǝnd džoxoc‘ kṙec‘in). La même expression est reprise, plus tard, par Yovhannēs Drasxanakertc‘i, catholicos arménien de 899 à 929, lorsqu’il narre lui aussi le pacte de 652, dans son Patmut‘iwn Hayoc, p. 145 : Զոր տեսեալ Թէոդորոսի եւ այլոցն եւս նախարարաց եւ պակուցեալք յահէ հինինց եկելոց հնազանդեցան ի ծառայութիւն հագարացւոյն, դնելով ուխտ ընդ մահու եւ կռելով դաշինս ընդ դժոխոց (zor teseal T‘ēodorosi ez ayloc‘n ezs naxararac‘ ew pakuc‘ealk‘ yahē hininc‘ ekeloc‘ hnazandec‘an i caṙayut‘iwn hagarac‘woyn, dnelov uxt‘ ǝnd mahu ez kṙelov dašins ǝnd džoxoc‘). Quand T‘ēodoros et les autres naxarar virent cela (les attaques arabes) ils furent frappés d’épouvante devant l’arrivée des brigands et se soumirent à la domination du fils d’Agar, ils firent alliance avec la mort et concluaient un pacte avec l’enfer).

14. Voir la traduction du texte de Sebēos donné dans A. et J.-P. Mahé, 2012, p. 108 : « Voici quel sera mon pacte de paix entre moi et vous, autant d’années que vous le voudrez. Je ne recevrai pas de tribut de vous pendant trois ans ; ensuite vous devrez me donner, sous serment, autant que vous voudrez. Vous tiendrez à ma disposition 15 000 cavaliers de votre pays. Vous les nourrirez sur le pays, et moi, je leur donnerai une solde sur le Trésor public. Je n’emmènerai pas ces cavaliers en Syrie ; mais qu’ils soient prêts à agir partout où il me plaira. Je n’enverrai aucun émir dans vos forteresses et pas de guerriers arabes, ni beaucoup, ni même un seul. Mais aucun ennemi ne devra entrer en Arménie : si les Grecs vous attaquent, j’enverrai des renforts autant que vous voudrez. Je jure par le grand Dieu que je ne mens pas ».

15. Cinquième calife omeyyade (avril/mai 685, mai 705).

16.Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 57-59, trad. p. 56-58.

17. Ibid, éd. p. 27, trad. p. 26

18. Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 29, trad. p. 28.

19. Շինութիւն (šinut‘iwn). Ce terme, très souvent employé dans les sources arméniennes comme synonyme de xałałut‘iwn, n’est jamais utilisé par Łewond dans sa chronique. Ce terme arménien très riche peut signifier construction (Ὀικοδομὴ), sécurité (Ἀσφαλεια) ou encore abondance (Ἐυθηνία). Il est rendu ici par « prospérité » car les deux termes suivants de l’énumération signifient « sécurité » et « plénitude ». Cet exemple montre bien la difficulté à traduire des termes souvent employés dans des énumérations, avec des sens très proches.

20. Խաղաղութիւն (xałałut‘iwn)

21. Յապահովութիւն (hapahovut‘iwn)

22. լրութիւն (lrut‘iwn)

23. Yovhannēs Drasxanakertc‘i, Patmut‘iwn Hayoc‘, cité note 13, p. 412, traduction française Patricia Boisson-Chenorhokian, Histoire d’Arménie, cité note 13, p. 150.

24. A. et J.-P. Mahé, Histoire de l’Arménie (cité note 7), p. 109-111.

25. Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 83, trad. p. 82.

26. Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 107, trad. p. 106 : « Il échangea avec eux des paroles de paix » (եւ խաւսի ընդ նոսա բանիւք խաղաղութեան/ew xawsi ǝnd nosa baniwk‘ xałałut‘ean). On traduirait littéralement par « il parla avec eux avec des paroles de paix ». Le nom est à l’instrumental. L’auteur avait employé la même expression lorsqu’il avait décrit l’ambassade du catholicos Sahak auprès du calife. Les princes arméniens avaient, écrit Łewond, pris des dispositions pour envoyer le prélat afin « d’engager des pourparlers de paix ». On traduit donc ici la même expression avec un sens légèrement différent en fonction du contexte. Mais il s’agit, dans les deux cas, d’une rencontre entre représentants arméniens et arabes.

27. Voir le chapitre intitulé « Une situation spécifique : chrétiens et musulmans en Arménie », dans A.-M. Eddé et all., 1997, p. 77-82 (chapitre rédigé par B. Martin-Hisard). Voir aussi Aram Ter Łewondyan, « Arminiayi ostikanneri žamanakagrut‘yunǝ » (Chronologie des ostikans d’Arménie), 1, p. 117-128. Il compte 121 gouverneurs entre 693 et 882.

28.Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 113, trad. p. 112.

29. Ibid, note 557 p. 112.

30. Ibid, édition, p. 127, traduction p. 126

31. A. et J.-P. Mahé, Histoire de l’Arménie (cité note 7), p. 117-118.

32. Հանդարտել (handartel) : se tenir tranquille, se calmer.

33. կեալ խաղաղութեամբ (keal xałałut‘eamb). Xałałut‘iwn est ici à l’instrumental.

34. Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 169, traduction p. 168.

35. Ibid, p. 280.

36. 2R 18, 31, cité note 318 p. 280.

37. Le terme uxt, qui signifie vœu, souhait, en est venu à prendre, par glissement, deux sens : le premier est celui, qu’il faut comprendre ici de « pacte, traité », le second, très souvent employé dans l’historiographie arménienne pour désigner les communautés monastiques, d’ « ordre, congrégation ».

38. Bernadette Martin-Hisard, Łewond vardapet, édition p. 149, traduction p. 148.

 


Pour citer cet article

I. Augé, "Vivre en paix sous la domination musulmane : analyse du lexique employé par le vardapet Łewond"dans Les mots pour dire la paix dans le Proche-Orient antique et médiéval. Analyses lexicales, sur le site de recherche Les mots de la paix/Terminology of Peace [en ligne], mis en ligne le 15/5/2017, consulté le