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Paul Demont, Sorbonne Université, UMR 8167 « Orient et Méditerranée »

Résumé : La « paix » n’est-elle qu’un nom donné à un perpétuel état de guerre non déclarée entre États, comme le prétend un Crétois chez Platon (Lois 626e5 sqq.) ? Les régimes politiques de Crète et de Sparte sont-ils à bon droit organisés presque exclusivement en vue de la guerre, à la différence du modèle athénien ? Ni Platon, ni Aristote ne le pensent, eux pour qui « il faut être capable de travailler et de faire la guerre, mais davantage de vivre en paix et dans le loisir » (Aristote, Politique VII, 14, 1333a41), car « nous nous privons du loisir afin d’en jouir, et nous faisons la guerre en vue de la paix » (Aristote, Ethique à Nicomaque X, 7, 1177b4-5). La paix intérieure, la paix de l’âme, est pour Platon le but ultime.


Table des matières

1. Idéal de paix et nécessité de la guerre dans la Grèce archaïque et classique
2. La paix n’est-elle qu’un état de guerre non déclarée ?
3. La cité, les frères, l’individu : les amitiés de la paix
4. La redistribution des vertus
5. La cité, la guerre et la paix
6. Caractères guerriers et caractères pacifiques
7. Aristote : la paix et le loisir comme finalité
Conclusion : l’anthropologie « philosophique » de Platon et Aristote
Index bibliographique


 

 1. Idéal de paix et nécessité de la guerre dans la Grèce archaïque et classique

  1.  La guerre de Troie a été causée par Zeus, selon une épopée perdue, les Chants cypriens, que connaissaient Hérodote et Euripide et dont une scholie au v. 5 du premier chant de l’Iliade conserve les vers suivants : « Alors d’innombrables foules <humaines oppressaient> dans leur errance perpétuelle l’étendue de la Glèbe à la lourde poitrine. Zeus s’en aperçut et la prit en pitié : il décida dans la profondeur de sa pensée d’alléger la Terre nourricière de son fardeau humain, en lançant la grande querelle de la guerre d’Ilion, pour vider ce poids par la mort. Les héros à Troie mouraient, et le dessein de Zeus s’accomplissait »1. Les épisodes narrés dans l’Iliade ont eux aussi pour origine une divinité, Apollon, mais, dans ce cas encore, « le dessein de Zeus s’accomplissait » (Iliade, I, 5). Plus tard, au ve siècle, Hérodote semble, quant à lui, par-delà les « responsabilités » humaines, voir dans la « jalousie » divine à l’égard de mortels trop fortunés, la raison profonde des guerres insensées qui les conduisent à leur perte. La guerre entre le roi Crésus et le roi Cyrus, l’une des premières guerres qu’Hérodote décrit, est expliquée ainsi par Crésus vaincu : « Le responsable de cela est le dieu des Grecs [ici, Apollon], qui m’a poussé à faire cette expédition. Car personne n’est assez fou pour préférer la guerre (πόλεμος) à la paix (εἰρήνη, eirènè) : dans la paix, les enfants enterrent leurs pères, dans la guerre, les pères leurs enfants » (Hérodote, I, 87-88). Dans le monde des dieux du polythéisme grec ancien, même si les dieux n’hésitent pas à se battre entre eux, la place du dieu grec de la guerre et du combat, Arès, dans le panthéon est caractéristique de ce refus de la guerre : c’est un marginal parmi les dieux de l’Olympe, tout fils de Zeus qu’il soit, et son père lui-même l’apostrophe ainsi : « Tu es le dieu le plus odieux de tous ceux qui occupent l’Olympe, car tu ne cesses de te plaire aux guerres et aux combats » (Iliade, V, 893). Comme le dit le sophiste Prodicos à Socrate, en enregistrant et en commentant un état de la langue : « Ce qui est terrible (δεινόν) est mauvais ; personne n’ira parler d’une ‘richesse terrible’, ni d’une ‘paix (εἰρήνη) terrible’, ni d’une ‘bonne santé terrible’, mais d’une ‘maladie terrible’ ou d’une ‘guerre terrible’, dans la pensée que ce qui est terrible est un mal » (Platon,  Protagoras 341b3-4). La paix, donc, est l’idéal humain par excellence.

  2. Cela est vrai plus encore de la paix civile, dans une communauté, car « il est sans famille, sans loi et sans foyer, l’homme qui aime la guerre intestine et son effrayante froideur » (Iliade, IX, 63-64). La guerre civile (στάσις, stasis, qui, entre autres sens, signifie la « faction », puis la « guerre civile »), la guerre de l’intérieur, détruit les cités autant que la pestilence (Thucydide, I, 23).

  3. La Paix, « nourricière de jeunesse » (κουρότροφος, Hésiode, Trav. 228, Euripide, Bacch. 420), est personnifiée et honorée en tant que divinité, fille de Zeus, le roi des dieux de l’Olympe, et de Thémis, sœur de Dikè et d’Eunomia (trois divinités féminines associées à l’idée de Justice) chez Hésiode, Pindare et Aristophane. Ce dernier, pendant qu’Athènes est en guerre contre Sparte, la met en scène et lui consacre une comédie en 421, après avoir mis en scène une autre divinité allégorique, Διαλλαγή, « Réconciliation » (Diallagè), compagne de la déesse de l’amour, Aphrodite, et des Grâces, dans les Acharniens en 425 (comédie dans laquelle un citoyen, las de la guerre, conclut une paix personnelle ; le terme utilisé, σπονδαί, spondai, « trêve, paix » désigne en son sens premier les « libations » rituelles concluant une trêve). Un autel fut consacré à la Paix dès 465 par l’Athénien Cimon (Plutarque, Cimon 487B) et elle reçut un culte officiel à Athènes à partir de 371, avec sur l’agora une statue la représentant avec son fils Ploutos (« richesse ») dans ses bras, réalisée par Céphisodote et mentionnée par Pausanias (1, 8, 2 ; 9, 16, 2).

  4. Il faut néanmoins préparer les citoyens au combat dans un monde où les guerres entre les cités et les peuples se succèdent sans cesse. Selon les historiens classiques, et certainement aussi dans la réalité, les cités de la Grèce avaient conçu différents régimes de citoyenneté (πολιτεία, politeia) selon que l’éducation et les institutions y étaient plus ou moins orientées vers la préparation à la guerre. Thucydide analyse ces régimes à travers les discours qu’il prête aux acteurs de l’histoire. L’oraison funèbre de Périclès aux morts de la première année de la guerre en est le meilleur témoignage, qui oppose le mode de vie athénien à l’entraînement militaire spartiate : « Nous différons aussi de nos adversaires par notre entraînement relativement aux activités guerrières de la façon suivante. (…) Tandis qu’eux, dans leur éducation, cherchent à acquérir le courage par un entraînement très pénible dès la jeunesse, nous, malgré notre régime relâché, nous n’affrontons pas moins des dangers équivalents » (II, 39, 1). Les Spartiates obéissent à des lois contraignantes et à une préparation militaire continue, mais, selon Périclès, le « laisser-aller » (ῥᾳθυμία) et le « caractère » (τρόπος) des Athéniens leur assurent aisément l’avantage.

  5. Les analyses platoniciennes de la nature du « courage » (andreia) sont en rapport avec ce débat, avec des divergences complexes dans les solutions du Lachès, du Protagoras et de la République (voir par ex. Romilly 1980) : l’ἀνδρεία (andreia) est au sens étymologique la « virilité », car le mot est formé sur ἀνήρ / ἀνδρός, « homme ». Certains médecins distinguent les semences humaines, chez l’homme et chez la femme, plus ou moins viriles et plus ou moins féminines, qui, lors de l’union sexuelle, conçoivent des hommes et des femmes plus ou moins virils ([Hippocrate], Du régime I, 28-29). Le courage à la guerre est-il la vertu suprême (arétè) ou est-ce une vertu subordonnée à d’autres, et notamment à la sagesse intellectuelle, bien moins virile ?

  6. C’est sur ce fond —un idéal, puis un culte de la paix qui est largement partagé, la nécessité de la préparation à la guerre (donc, au courage comme valeur suprême), et des régimes politiques très diversement orientés par rapport à ces fins contradictoires— que Platon (c. 428-348) et Aristote (384-322) construisent leurs analyses de l’état de paix.

 

2. La paix n’est-elle qu’un état de guerre non déclarée ?

  1.  C’est la dernière œuvre, posthume, de Platon, les Lois, qui aborde le plus directement le problème de la guerre et de la paix, dès les premières pages. Les trois interlocuteurs, le Spartiate Mégillos, le Crétois Clinias et un Athénien anonyme (qui représente très vraisemblablement la position de Platon), commencent à réfléchir à ce que doivent être les institutions de la cité qu’ils vont fonder, et l’Athénien pose d’abord au Crétois une première question assez surprenante pour nous. Pourquoi, en Crète, la loi prescrit-elle des repas en commun (« syssities »), ainsi qu’un entraînement physique et un certain type d’armement ? Le Crétois répond que cela tient aux particularités naturelles de la géographie de la Crète, qui excluent la cavalerie et imposent l’usage d’une armée de soldats légèrement équipés, en particulier des archers, aptes aux déplacements rapides à pied, et donc une préparation physique à la course à pied liée à ce mode de combat. Mais les repas en commun, eux, ne sont pas liés à la géographie : ils sont un entraînement aux campagnes militaires, où il faut vivre ensemble. C’est alors que se pose la question de savoir si la cité doit être organisée en vue de la guerre ou en vue de la paix, ce qui enclenche une discussion remarquable sur ce thème. L’usage crétois des syssities montre que la vie en temps de paix est une préparation à la guerre. La discussion ne porte plus ici sur la nature du paysage, mais sur la nature des rapports sociaux humains : « [Le législateur] condamne, à mon avis [par ces mesures, et notamment les syssities] le manque de réflexion de la plupart des gens, qui ne comprennent pas qu’on est en guerre perpétuelle et continue, pendant toute la vie, contre toutes les cités » (Lois I, 625e5-7), car, continue-t-il, « ce que la plupart des gens appellent ‘paix’ (εἰρήνη) n’est qu’un nom, mais, en fait, par nature, il y a perpétuel­lement une guerre, non déclarée par voie de héraut, de toutes les cités contre toutes » (626a2-5). De fait, Aristote observe dans sa Politique (II, 9, 1269a39 sqq.) que les cités crétoises étaient très souvent en guerre les unes contre les autres, mais, ici, il s’agit d’une observation générale, valant pour toute l’humanité. Et l’Athénien étend alors le raisonnement à d’autres situations : cet état de guerre non déclarée qui vaut entre les cités-États, ne vaut-il pas aussi entre les villages, entre les familles, entre les membres d’une même famille, et même à l’intérieur de l’individu ? Car nous connaissons les querelles de clocher et ne cessons de combattre les uns contre les autres, et nous combattons aussi nous-mêmes contre nous-mêmes (ne dit-on pas qu’il faut être « maître de soi » et la victoire sur soi-même n’est-elle pas la plus belle ?). Platon souligne lui-même cette extension de l’analyse par une remarque du Crétois, qui félicite l’Athénien de clarifier l’examen  « en remontant correctement jusqu’au principe » (I, 626d5-6). Le Spartiate, de son côté, a tout à fait approuvé ce point de vue, car la constatation d’un état naturel de guerre de tous contre tous, où chacun cherche à obtenir la victoire pour ne pas être réduit en esclavage, justifie les très rudes institutions éducatives et contraintes imposées aux citoyens de Lacédémone aussi, pour en faire les meilleurs soldats possibles. Mais pourquoi remonter ainsi « au principe », et affirmer l’état de guerre dans la cité, dans le village, dans la famille et dans l’individu ?

 

3. La cité, les frères, l’individu : les amitiés de la paix

  1.  C’est que le glissement de l’analyse politique (la victoire sur les autres) vers la pensée morale (la victoire sur soi-même) est essentiel pour l’argumentation. Les interlocuteurs approuvent ce glissement sans y voir malice, et la réfutation est en marche. L’Athénien interroge son interlocuteur avec une dialectique comparable à celle des premiers dialogues de Platon (Schöpsdau 1994 : 160). Faut-il que ces différents niveaux de guerre aboutissent à la victoire d’un camp contre l’autre, ou bien faut-il chercher les moyens de réconcilier l’homme avec lui-même, les frères avec les frères, les citoyens entre eux et les cités avec elles-mêmes ? Pour obtenir une réponse, l’Athénien prend l’exemple de la guerre entre frères, d’une façon caractéristique de l’importance qu’a le modèle fraternel —et ses difficultés tragiques— dans la pensée grecque de la cité (il suffit de lire les Sept contre Thèbes d’Eschyle et les Phéniciennes d’Euripide, mais il y a bien d’autres exemples : Loraux 2005) : en cas de guerre entre les frères (qui est à la fois une guerre extérieure et une guerre intestine, une stasis : d’où l’intérêt de l’exemple), quel doit être l’objectif ? Platon introduit ici, à la place du législateur, un juge, une instance de discernement et d’arbitrage qui dépasse la fonction législatrice —et qui, de fait, était souvent utilisée dans les querelles fratricides et dans les guerres civiles (Demont 2000). Quel sera le meilleur juge ? Celui qui mettra à mort les frères les pires, ou bien celui qui obligera les frères les pires à obéir aux meilleurs, ou bien encore celui qui réussira, par des lois et des règlements, à rétablir l’amitié entre tous ? Le Crétois reconnaît que le meilleur juge et législateur (on revient ainsi à la législation) est le dernier nommé, celui qui sait rétablir la concorde. Cette concession le perd. La conséquence en est tirée en effet immédiatement par l’Athénien, et le Crétois est obligé d’y souscrire : « Et alors il établira sûrement ses lois pour eux en ayant en vue l’exact opposé de la guerre » (628a6-7). Et ce doit être la même chose dans la cité : le bon législateur fera tout pour éviter « la guerre intestine, qu’on appelle stasis » (628b1-2), en favorisant « l’amitié (φιλία, philia) et la paix assurées par des réconciliations (ὑπὸ διαλλαγῶν) » (628b8), afin d’unir toutes les forces de la cité contre un ennemi extérieur. Donc, conclut l’Athénien, « le plus grand bien, ce n’est ni la guerre ni la guerre civile (et il faut conjurer l’obligation d’y avoir recours), mais la paix et l’affection (φιλοφροσύνη, philophrosynè, un terme à connotation poétique, rare chez Platon) mutuelles » (628c9-11).

  2. Le détour par la morale individuelle (être maître de soi, être en accord avec soi-même) permet de revenir à la cité en envisageant la façon dont la cité elle aussi sera en accord avec elle-même. La condamnation de la guerre civile vaut désormais condamnation de la guerre en général, ou du moins —avec une certaine ambiguïté dont joue Platon— elle implique la subordination de la préparation à la guerre extérieure à la recherche de la paix intérieure. Et on revient alors à la question de la législation : « Que l’on réfléchisse ainsi au bonheur de la cité ou à celui de l’individu, on ne sera jamais un homme politique correct si l’on envisage seulement et d’abord la guerre extérieure, ni un législateur exact, si on n’établit pas les lois concernant la guerre en vue de la paix, plutôt que les lois concernant la paix en vue de la guerre » (628d4-e1).  Quod erat demonstrandum.

 

 4. La redistribution des vertus

  1.  Évidemment, Clinias et Mégillos n’acquiescent que du bout des lèvres : « Il semble que cette argumentation soit correcte ; je serais tout de même étonné que notre législation et aussi celle de Lacédémone ne concentrent pas tous leurs soins dans ce but-ci », à savoir la guerre (628e2-5). Mais l’Athénien enfonce le clou : quand un poète guerrier comme Tyrtée (que connaissent par cœur et le Crétois et surtout le Spartiate, car on le leur serine depuis l’enfance, il est supposé aux fondements du régime de Sparte et il a l’avantage, au moins selon Platon, d’être à la fois Athénien d’origine et Spartiate d’adoption) exalte le courage (ἀνδρεία, andreia) au combat, il célèbre une valeur qui ne devrait venir qu’en « quatrième position » (630c8) parmi les vertus qu’on appela ensuite « cardinales », et non pas être, comme il le croit, la valeur suprême de l’excellence humaine : le courage doit venir après la sagesse, la tempérance et la justice. Car le courage sans les autres vertus a toute chance d’être simplement une violence folle et non maîtrisée. C’est une véritable redistribution des valeurs traditionnelles qu’opère Platon ici, et l’Athénien le redit plus explicitement encore dans la première grande déclaration suivie des Lois, à la page suivante, où les vertus cardinales sont analysées (631b2-632d7). Ce qu’il faut apprendre aux enfants est désormais en accord avec cet idéal de paix que j’ai défini comme étant à l’arrière-plan dès l’épopée archaïque. Bien sûr, cela impose que l’on corrige les modèles éducatifs traditionnels, notamment Homère, qui peint les dieux bataillant les uns contre les autres (et il faut ici renvoyer à la République II, 378b8-9).

  2. On le voit cependant : il s’agit surtout de rejeter vers « l’extérieur » la possibilité ou la nécessité de la guerre, l’extérieur étant repoussé de la famille à la cité, puis de la cité aux autres cités : cette guerre extérieure est en effet dite « beaucoup plus douce » que l’autre, la stasis (πολὺ πρᾳότερον : l’adjectif est tout à fait remarquable, 629d5). Cela est cohérent avec les analyses platoniciennes qui insistent sur la fraternité des cités grecques, en tant qu’elles sont grecques : et donc sur la nécessité de l’union des Grecs pour lutter contre les Barbares (par exemple République V, 470b-471c —un texte utilisé, à tort, par Carl Schmitt pour justifier son analyse « du » politique : Derrida 1994, notamment 101-114, Demont 2011), selon un leit-motiv qui court d’Isocrate à Platon. Si les Grecs sont en guerre entre eux, c’est que « la Grèce est malade, et en stasis » (République V, 470c9), et ils ne doivent se battre qu’avec l’objectif de se réconcilier.

  3. L’idéal est donc la cité (et la Grèce) en paix, c’est-à-dire en bonne santé. La métaphore médicale utilisée aussi dans le passage des Lois est la suivante : ne s’occuper que de la guerre, et particulièrement de la guerre civile, revient à ne s’occuper que d’un corps qui a besoin d’un traitement de choc, et à négliger les corps qui sont en santé (628d1-3). L’image du corps facilite la focalisation sur la question de la paix civile à l’intérieur de la cité. La priorité donnée à la recherche de la paix collective est identifiée à la priorité donnée à la préservation de la santé individuelle sur la guérison des maladies graves (une priorité déjà assumée dans la République). Une cité malade peut avoir besoin, en cas de nécessité, d’une purge (la guerre civile), et cela suppose, pour que la purge soit efficace, des combattants qui ne sont pas seulement courageux, mais aussi sages, tempérants et justes (les « quatre cardinales » sont mentionnées à nouveau en 630a8-b2). Mais il faut surtout préserver la cité en santé, en paix.

 

 5. La cité, la guerre et la paix

  1.  La question était déjà posée, d’une façon différente, dans une œuvre antérieure, la République. Pour mieux comprendre ce qu’est la justice, Platon y fondait une cité idéale, qui n’était inscrite dans aucune temporalité ni aucun contexte historique, à la différence de ce qu’il fit plus tard dans les Lois.

  2. Cette fondation comprend deux étapes majeures : une première étape établit la cité primitive, par la répartition des tâches nécessaires entre les habitants grâce à la spécialisation du travail. Elle aboutit à une cité harmonieuse, sans guerre (République II, 372c1), où règnent « la paix et la santé » (ἐν εἰρήνῃ μετὰ ὑγιείας, 372d2). Mais, protestent les interlocuteurs de Socrate, il lui manque tous les produits qui feront de la cité un endroit où il fait bon vivre : cette cité primitive ne sera, disent-ils, qu’une « cité de cochons », une cité bonne pour des cochons (372d4) ; seuls les échanges avec l’extérieur peuvent les lui procurer, répond Socrate, mais ces échanges impliquent de faire du commerce, et donc souvent de faire la guerre. Voici donc l’origine de la guerre, et, ajoute Socrate, de tous les maux privés et publics qui lui sont liés (373e5-6). Il faut donc ajouter à cette cité primitive une spécialisation consacrée à la fonction guerrière, la classe des gardiens, avec tous les problèmes afférents (quelle éducation leur donner ? faut-il leur donner le droit de propriété ? faut-il former des femmes à cette fonction ? comment prévoir les unions sexuelles parmi les gardiens ?). Cette nouvelle étape est définie par Platon comme celle de la cité « inflammatoire » (φλεγμαίνουσαν πόλιν, République 372e8), celle qui n’est plus en bonne santé, et celle dans laquelle nous vivons tous. Ainsi, définir la paix comme le but de la législation sans tenir compte de la nécessité de la guerre, ce serait vouloir revenir à une sorte d’âge d’or initial, dans sa version philosophique, un âge dont on sait pourtant qu’il est définitivement révolu, dans les cités inflammatoires du monde réel.

  3. L’entraînement à la guerre (extérieure) continue, de fait, d’occuper dans les Lois aussi une place considérable. À supposer qu’une cité soit juste, elle ne cesse de vivre « dans les mouvements houleux des autres États » (ἐν κλύδωνι τῶν ἄλλων πόλεων, traduction Léon Robin, VI, 758a6), comme un navire en mer, et il lui faut rester perpétuellement sur ses gardes. Platon revient notamment sur ce point au début du livre VIII. La cité que fondent les trois interlocuteurs, dit l’Athénien, « n’a pas son équivalent dans les cités actuelles du point de vue du loisir et de la liberté par rapport aux nécessités de la vie » et elle vivra dans le bonheur. Mais pour être heureux il ne faut ni commettre d’injustice ni en subir de la part d’autrui. Pour ne pas en subir, il faut pouvoir se défendre, ce qui est très difficile. Si une cité est bonne, « sa vie sera pacifique » (βίος εἰρηνικός), si elle ne l’est pas, elle sera « guerrière à la fois à l’extérieur et à l’intérieur ». La conséquence de cet état de choses même pour les cités pacifiques est vite tirée : « Ce n’est pas en temps de guerre que chacun doit s’entraîner à la guerre, mais pendant la vie en paix » (Lois VIII, 829a7-8). On n’est pas loin de revenir ici à la position initiale de Clinias le Crétois et de Mégillos le Spartiate sur la permanence de l’état de guerre entre les cités du monde réel. Les syssities, qui ont été le point de départ de la discussion sur ce point, sont d’ailleurs une institution que Platon maintient, sans quasiment en discuter le bien-fondé ni en préciser les modalités, à la fois dans la République et dans la nouvelle cité des Lois, en mentionnant à la fois que leur origine doit être due à « quelque guerre » (Lois VI, 780b4) et vient « d’une sorte de nécessité divine » (780e2). Il est vrai qu’il réoriente leur rôle vers le contrôle de la vie privée des citoyens, d’une façon qui est si contradictoire avec les institutions athéniennes qu’elle ne laisse pas de l’embarrasser (Piérart 1974 : 77-80). Il y ajoute même aussi des syssities pour les citoyennes, avec le même objectif, mais dans des conditions qui restent peu claires (Schöpsdau 2002).

 

 6. Caractères guerriers et caractères pacifiques

  1.  La tension entre la polarité guerrière et la polarité pacifique de la cité bonne se retrouve dans la psychologie platonicienne, qui, à côté de la partition de l’excellence humaine en quatre vertus, revient souvent à une bipartition des caractères, les uns, guerriers, orientés vers le courage, les autres, pacifiques, vers la réflexion intellectuelle.

  2. Dès la République, le problème est posé en pleine lumière. Les gardiens (et gardiennes) de la cité, si nécessaires étant donné le monde de désir dans lequel vivent les hommes, doivent être éduqué(e)s au courage, bien sûr, mais aussi à la paix : tout spécialistes de la guerre qu’ils sont, ils (elles) doivent être capables de douceur dans leur rapport à leurs concitoyens (conformément à la distinction entre l’entente interne et la guerre extérieure). Platon prend au livre II l’exemple des chiens de garde (et de chasse), aussi bien chiens que chiennes et chiots, qui sont à la fois doux à l’égard de leurs maîtres et des gens de la maison, et agressifs à l’égard des étrangers et du dehors : la nature montre donc qu’il est possible d’allier ces deux caractères, et l’éducation peut compléter la nature. Il va même jusqu’à résumer cela en écrivant que les gardiens doivent être à la fois courageux et « philosophes », puisqu’ils doivent savoir discerner ceux qu’ils connaissent et les étrangers (II, 375e10 sqq.). De la nécessité d’une certaine douceur pour les gardiens, Socrate passe donc à la nécessité d’une formation philosophique (la « philosophie » est « désir du savoir »), par un glissement « hardi, mais un peu retors » (Romilly 1979 : 179-182). On le retrouve plus tard pour la naissance et l’éducation des futurs chefs de l’Etat, qui doivent unir l’élément irascible et l’élément intellectuel de l’âme (VI, 503c2 sqq.). Et ces gardiens les plus parfaits, ceux qui seront proprement les philosophes, doivent aussi, bien sûr, concilier ces deux tendances apparemment contradictoires (VI, 503c-d). De tels gardes seront bien différents des loups, agresseurs sauvages, et image animale du tyran (Mainoldi 1984, 187-200). Ils préservent l’unité et l’amitié de la cité (il ne peut y avoir d’ennemis dans la cité en paix : El Murr 2012 et 2017).  Ainsi, l’intelligence, la réflexion, le savoir sont associés à la paix et à la douceur.

  3. Dans le Politique, un dialogue intermédiaire entre la République et les Lois, l’opposition entre tempérament pacifique et tempérament guerrier est reprise, mais sans référence ni à la philosophie, ni à la tripartition des fonctions dans la cité, ni à la comparaison avec le chien, et d’une façon qui laisse penser que Platon a lu Thucydide (Demont 22009 : 318-319) :

 Les hommes les plus rangés (κόσμιοι) sont disposés à vivre une vie continûment tranquille (τὸν ἥσυχον ἀεὶ βίον… ζῆν), à ne s’occuper exclusivement que de leurs affaires à eux, pratiquant chez eux des relations ainsi réglées avec tous, et prêts semblablement à faire à tout prix la paix (ἄγειν εἰρήνην) avec les États étrangers. Et comme cet amour manque de mesure plus qu’il ne le faudrait, quand ils agissent à leur gré, ils ne se rendent pas compte qu’ils perdent eux-mêmes tout caractère guerrier et éduquent ainsi leurs enfants, qu’ils sont sans cesse à la merci de leurs agresseurs, dont, bien souvent, en peu d’années, ils deviennent esclaves, eux, leurs enfants et toute leur cité, de libres qu’ils étaient, sans s’en être aperçus (Politique 307e2-308a2).

  1.  Cette leçon vaut aussi, inversement, pour les tempéraments trop enclins au courage, qui, poussés « par un désir de ce genre de vie qui est plus vif qu’il ne faudrait », précipitent leur cité dans des guerres qui la conduisent aussi à l’asservissement et à la ruine. Il faudrait donc que le parfait politique sache harmoniser selon la mesure, sache entrelacer les deux tempéraments (le paradigme du tissage est un lieu commun qui peut être comique chez Aristophane et qui est réactivé de façon philosophique par Platon) par des mariages bien calculés et par une éducation bien ordonnée (El Murr 2014 : 270-286).

  2. La formation que Platon offre lui-même dans ses dialogues aux interlocuteurs qu’il met en scène et à ses lecteurs, pour qu’ils deviennent philosophes, semble cependant se limiter à l’un de ces deux aspects. Comment Platon décrit-il l’activité philosophique ? La célèbre digression centrale du Théétète est exemplaire à cet égard : « [Les philosophes] ont toujours à leur disposition, eux, ce dont tu parlais, le loisir (σχολή) et ils mènent leurs discussions dans la paix, à loisir (ἐν εἰρήνῃ ἐπὶ σχολῆς) » (Théétète 172d3-4). Notons cependant qu’il ne s’agit pas ici d’opposer les tempéraments philosophiques et leur tranquillité (ἀπραγμοσύνη) aux guerriers, mais aux politiques toujours affairés (pris qu’ils sont dans les πράγματα), habitués des assemblées, des tribunaux et des conseils, où l’horloge minute les temps de parole, selon une polarité caractéristique de la cité athénienne, et que j’ai étudiée il y a bien longtemps. Platon croise donc deux débats, entre les cités guerrières de Sparte et de Crète et les autres (dont Athènes), qui ont comme finalité la paix et les Muses, et entre les partisans et adversaires des « affaires » (politico-judiciaires) à Athènes : cela est particulièrement net dans sa réécriture d’une tragédie perdue d’Euripide, l’Antiope, dans le Gorgias (Demont 22009 : 168-174). De ces deux points de vue, le loisir tranquille pour l’activité philosophique est l’idéal suprême, nécessaire pour accéder à l’excellence humaine, et il suppose la maîtrise des « désirs », ces fauteurs de guerre dans l’âme et dans la vie (Phédon 66c6-8), leur obéissance volontaire à la régulation de l’esprit.

 

 7. Aristote : la paix et le loisir comme finalité

  1.  C’est aussi la perspective d’Aristote, que je ne peux ici qu’esquisser en quelques mots. Aristote, dans le livre VII de sa Politique (un traité très composite, certainement rédigé en plusieurs étapes, qu’il est impossible de reconstituer avec certitude), utilise en effet à deux reprises, aux chapitres 2 et 14-15, les analyses platoniciennes, mais en les infléchissant quelque peu. D’une part, la définition de la paix comme but de l’homme lui apparaît comme une idée commune, banale, qu’enregistrent des maximes —rejoignant le tableau que j’ai présenté en introduction. Ce ne semble plus, pour lui, être l’objet de controverses philosophiques : « Comme il a été dit souvent, la paix est la fin de la guerre, le loisir (scholè) la fin de l'absence de loisir" (τέλος γάρ, ὥσπερ εἴρηται πολλάκις, εἰρήνη μὲν πολέμου, σχολὴ δ᾽ἀσχολίας, Pol. VII, 15, 1334a14-16). « Le bonheur passe pour être dans le loisir ; en effet, nous nous privons de loisir afin d'en jouir et nous faisons la guerre pour vivre en paix » (Éth. Nic. X, 7, 1177b4-5). Dans ces deux passages, d’autre part, paix (au niveau collectif) et loisir (au niveau individuel) sont comparés, de façon beaucoup plus systématique que chez Platon, ce qui est cohérent avec l’idéal aristotélicien de la vie « théorétique » (devenue, après la traduction en latin, la vie « contemplative »), mais n’est pas sans difficulté, dès qu’il s’agit d’évaluer la hiérarchie entre vie théorétique et vie « pratique », ou d’établir les bases sociales et politiques susceptibles de permettre la réalisation d’un tel idéal (Demont 1993). En tout cas, la conséquence est claire : un but essentiel du législateur est d'éduquer les citoyens collectivement plus à la paix qu'à la guerre, individuellement plus au loisir qu'à l'absence de loisir. En ce qui concerne le premier point, Aristote reprend l'analyse de Platon dans les Lois, mais l'appuie sur les faits, le sort malheureux des cités exclusivement guerrières, et il faut entendre qu’il s’agit surtout de Sparte dans la deuxième moitié du quatrième siècle. Il s’en prend donc explicitement, bien qu’il ne les cite pas tous nommément, à la fois aux législateurs (plus ou moins historiques) réputés être les meilleurs (comme Lycurgue) et aux auteurs qui après eux ont fait l’éloge du régime spartiate (il ne mentionne qu’un certain Thibron, dont on ne sait rien) : « En louant le régime des Lacédémoniens, ils célèbrent le but du législateur, le fait qu’il ait tout réglé en vue de la domination (τὸ κρατεῖν) et de la guerre. Ce qu’il est facile de réfuter par l’argumentation, et que les faits ont maintenant réfuté aussi » (VII, 14, 1333b12-16). Trois modes de réfutation peuvent être distingués chez Aristote.

  2. Un premier point, évident, est que la fin de la domination de Sparte réduit automatiquement les Lacédémoniens au malheur, puisque la domination était leur but : « Il est évident que, comme les Lacédémoniens, maintenant, n’ont plus leur pouvoir (τὸ ἄρχειν), ils ne sont pas heureux, et que leur législateur n’est pas bon » (VII, 14, 1333b21-23). Et pourtant, ils vivent toujours sous leurs lois initiales, mais ils ont perdu la possibilité d’une vie belle, aussi bien selon leurs propres critères que selon ceux d’Aristote.

  3. Un second point précise les critères d’Aristote et porte sur les concepts de domination et de pouvoir : « Le pouvoir (ἀρχὴ) sur les hommes libres est plus beau et plus lié à la vertu que le pouvoir d’un maître (τοῦ δεσποτικῶς ἄρχειν) ». La guerre ne peut en elle-même viser à l’exercice d’un pouvoir sur des hommes libres, qui caractérise une politeia, un régime politique, la relation politique, car la relation guerrière conduit à l’esclavage du vaincu, à la domination du vainqueur sur des esclaves. Aristote consacre un long développement à cet aspect dans le chapitre 2 du livre VII.

 Chez certains, la définition des lois et du régime est celle-ci : comment deviendra-t-on les maîtres de ses voisins ? C’est pourquoi, s’il est vrai que des règles en nombre infini sont pour ainsi dire répandues à profusion dans des Etats en nombre infini, pourtant, dans les cas où il y a un but unique que les lois visent, toutes ont pour but la domination : c’est ainsi qu’à Lacédémone et en Crète l’éducation et la masse des lois sont pratiquement ordonnées en vue de la guerre. [Aristote ajoute d’autres exemples, qui mêlent Grecs et Barbares : les Scythes, les Perses, les Thraces, les Celtes, les Carthaginois, les Macédoniens, les Ibères] Pourtant, il pourrait paraître très absurde à qui veut mener l’examen que ce soit la tâche du politique que de pouvoir trouver la façon de dominer et d’être maître de ses voisins, qu’ils le veuillent ou non (Politique VII, 2, 1324b3-26).

  1.  La condamnation de la guerre se fait au nom de l’analyse de la relation de citoyenneté, qui suppose, pour Aristote, l’exercice consenti de l’autorité sur des citoyens libres (et, dans le cas de la politeia par excellence, son exercice alterné, par rotation des charges).

  2. Un troisième aspect fait de la paix, et non de la guerre, le but d’une législation correcte, pour des motifs comparables à ceux de Platon.

  3.  Le raisonnement selon lequel le législateur doit veiller surtout à régler les dispositions législatives concernant la guerre et toutes les autres en vue du loisir et de la paix est soutenu par la réalité des faits : la plupart des cités de ce genre [i.e. guerrières] sont préservées tant qu’elles sont en guerre, mais une fois en possession de l’empire, elles se perdent, car, comme le fer, elles perdent leur trempe en vivant en paix. Le responsable en est le législateur, qui ne les a pas éduquées à pouvoir vivre en paix (VII, 14, 1334a2-10).

  4.  S’il est honteux de ne pouvoir jouir des bienfaits de la vie, il l’est encore plus de ne pas le pouvoir dans le loisir, et, alors qu’on se montre valeureux dans l’absence de loisir et dans la guerre, de se révéler être esclave en temps de paix et de loisir. C’est pourquoi il ne faut pas s’entraîner à l’excellence comme la cité des Lacédémoniens. Ceux-ci ne diffèrent pas du reste des hommes parce qu’ils ne considéreraient pas les mêmes éléments comme les plus grands des biens, mais parce qu’ils pensent que ces biens adviennent surtout en raison d’une vertu particulière  (Politique VII, 15, 1334a36-41).

  5.  En effet, le courage ne doit pas être privilégié par rapport aux autres aspects de l’excellence humaine, la tempérance, la justice, l’endurance, l’activité intellectuelle (Politique VII, 15, 1334a11-35). La guerre, dit Aristote, force à la tempérance et à la justice, mais quand il n’y a plus de guerre, il faut rester tempérant et juste, ce qu’une constitution ordonnée en vue de la guerre ne peut réaliser.

  6. Ce qui ne veut pas dire que la guerre soit proscrite. La guerre, dit Aristote (VII, 14, 1333b37-1334 a2), doit avoir pour premier but d’éviter soi-même l’asservissement, ensuite, second but, peut viser l’hégémonie (et non le pouvoir d’un maître) pour l’utilité de ceux sur lesquels on a le pouvoir (Aristote ne donne aucun exemple, mais ce terme d’hégémonie est employé en particulier à propos de Philippe de Macédoine, proclamé hégémôn après sa victoire sur la Grèce, lors de la « paix commune » [impliquant plusieurs cités] conclue à Corinthe en 338/337), enfin, troisième finalité, la guerre peut permettre l’exercice du pouvoir d’un maître (ou pouvoir despotique) sur ceux qui méritent d’être esclaves (ici encore, Aristote n’explicite pas, mais il s’agit vraisemblablement de la guerre contre les Barbares ou, comme le dit en note Jules Tricot, avec une expression caractéristique d’une certaine utilisation d’Aristote, contre « des peuples de civilisation inférieure »). Aristote, on le voit, « n’est pas un pacifiste systématique », pour citer encore Tricot, pas plus que Platon.

 

 Conclusion : l’anthropologie « philosophique » de Platon et Aristote

  1.  Ainsi, la réflexion sur la finalité souhaitable, guerrière ou pacifique, d’un régime politique est chez Platon et chez Aristote fondée sur des opinions communes célébrant la paix, et ancrée dans les débats de son temps entre partisans et adversaires des régimes de Sparte ou de Crète. Cette réflexion met en jeu une anthropologie, dans laquelle la valeur suprême n’est plus le courage, mais un ensemble de vertus dirigeant et surveillant le courage et les désirs, dans l’âme individuelle en paix, sous la conduite de l’esprit, qui saura savoir quel est le bien, quel est l’ami. Il s’y ajoute la priorité donnée à l’organisation interne de la communauté politique (qui doit reposer sur la paix et l’affection mutuelles), par rapport aux questions de relations extérieures, qui, elles, impliquent toujours la préparation à la guerre. Cette priorité, par l’extension de la communauté à l’ensemble du monde grec, conduit à promouvoir, sauf pour la guerre contre les Barbares, un idéal de paix entre peuples grecs2.

 


 

Index bibliographique

 

Demont, Paul (1993), « Le loisir (σχολή) dans la Politique d'Aristote » dans Aristote politique. Études sur la Politique d'Aristote publié sous la direction de Pierre Aubenque par Alonso Tordesillas, Paris, P.U.F., Coll. Épiméthée, p. 209-230.

Demont, Paul (1996), « Les problèmes du loisir dans la Grèce antique » dans Les loisirs et l'héritage de la culture classique, Actes du XIIIe Congrès de l'Association Guillaume Budé (Dijon, 27-31 août 1993), éd. par J.-M. André, J. Dangel et P. Demont, Bruxelles, Éditions Latomus, p. 9-36.

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Tricot, Jules (1982) : Aristote, La Politique, introduction, traduction, notes et index par J.T., Paris, Éditions Vrin.

 


1. Je propose des traductions personnelles des textes grecs. Les dates s’entendent avant J.-C.

2. Je remercie Dimitri El Murr et Franco Trabattoni d’avoir accepté de me donner leur opinion sur une première version de cette étude.


Pour citer cet article

Paul Demont, "La paix comme finalité chez Platon et Aristote", Les mots de la paix/Terminology of Peace [en ligne], mis en ligne le 17/07/2018, consulté le