Fiche élaborée par Laila Nehmé, CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, « Mondes sémitiques anciens », Paris
Famille de langue et particularités linguistiques
Le nabatéen désigne l’une des variantes dialectales de l’araméen moyen (dont les autres représentants sont, entre autres, le palmyrénien, le hatréen et le syriaque), utilisée majoritairement dans les frontières du royaume nabatéen. Ce dernier, dont le premier roi attesté est mentionné dans une inscription provenant du Néguev, non datée mais qui pourrait remonter au IIIe ou au début du IIe siècle av. J.-C. (sur critères paléographiques) est resté indépendant, en marge des royaumes hellénistiques puis de l’Empire romain, jusqu’au début du IIe siècle ap. J.-C. En effet, en 106 ap. J.-C., l’ensemble du royaume nabatéen, dont la capitale était Pétra et qui, dans sa plus grande extension, s’est étendu de Damas au Hijâz et du Néguev au désert syro-arabe, a été annexé par Trajan pour former une nouvelle province romaine, celle d’Arabie.
L’araméen moyen est lui-même une variante de l’araméen qui appartient, avec l’ougaritique, le cananéen et sans doute le taymanite, à la famille du sémitique du Nord-Ouest.
La langue parlée par les Nabatéens était sans doute, au moins dans certaines régions du royaume, une forme de vieil arabe (expression conventionnellement utilisée pour désigner les dialectes arabes attestés antérieurement à l’avènement de l’Islam), l’araméen nabatéen étant utilisé dans les inscriptions et les textes écrits sur des matériaux souples, même si on y trouve également dans les textes un certain nombre d’emprunts à l’arabe.
Le nabatéen est linguistiquement une variante de l’araméen moyen et en partage un certain nombre de caractéristiques. C’est une langue à racines, comme l’arabe et l’hébreu.
Écriture
L’écriture nabatéenne appartient à la famille des écritures nord-ouest sémitiques, dont le représentant le plus ancien est le phénicien ancien. Comme le syriaque, le hatréen, le judéo-araméen et le palmyrénien, elle dérive de l’araméen d’Empire. C’est une écriture alphabétique, qui comprend vingt-deux caractères. Elle est consonantique mais note les voyelles longues î et û (et pas le â en milieu de mot). Les géminations de consonnes ne sont pas indiquées et il n’y a pas de distinction entre les occlusives restées occlusives et celles qui sont devenues spirantes.
L’écriture nabatéenne n’est pas complètement uniforme d’une région à l’autre, il en existe des variantes régionales avec des différences plus ou moins marquées, notamment dans le Hawrân (Syrie du Sud) et dans le Sinaï. Elle a par ailleurs évolué au cours du temps, passant d’une écriture peu cursive, avec des lettres relativement isolées les unes des autres, à une écriture de plus en plus cursive et de plus en plus posée sur une ligne d’écriture imaginaire. Le dernier stade du développement du nabatéen est l’écriture arabe, qui apparaît, presque entièrement formée, dans le courant du Ve siècle ap. J.-C. L’écriture arabe n’est donc pas une création mais correspond à l’ultime développement de l’écriture nabatéenne. La région où cette évolution a eu lieu est très certainement le nord-ouest de la péninsule Arabique.
Étendue chronologique et géographique
L’inscription nabatéenne datée la plus ancienne provient de Pétra et est datée de 96/95 av. J.-C. tandis que l’inscription datée la plus récente est conventionnellement datée de 356 ap. J.-C. et proviendrait de Hégra, moderne Madâ’in Sâlih, dans le nord-ouest de l’Arabie. Cette date est conventionnelle dans la mesure où les textes plus récents (de la deuxième moitié du ive siècle et du ve) ne sont plus appelés nabatéens mais nabatéo-arabes en raison de leur caractère transitoire entre ces deux écritures ; ils continuent cependant, d’une certaine manière, d’être nabatéens.
On connaît une dizaine de milliers d’inscriptions nabatéennes qui proviennent de Syrie, de Jordanie, d’Arabie, d’Égypte, du Néguev et du Sinaï. La plupart ont été retrouvées sur des sites qui ont fait partie, à un moment ou à un autre, du royaume nabatéen, mais les marchands nabatéens en ont également laissé, parmi lesquelles quelques bilingues (latin-nabatéen, grec-nabatéen, sudarabique-nabatéen), à l’extérieur des frontières du royaume, par exemple au Liban (Sidon), en Grèce (Cos, Milet), en Italie (Rome, Pouzzoles), en Arabie du Sud (Sirwâh).
Ces textes sont en grande majorité, environ 90 %, de simples signatures (graffiti), les 10 % restants étant principalement des dédicaces et des épitaphes. Un ensemble de textes sort du lot, à savoir la trentaine de textes juridiques gravés sur les façades des tombeaux de Hégra. Le nabatéen n’a pas livré de textes littéraires, pas d’annales royales ou d’archives administratives. En revanche, s’ajoutent aux inscriptions des textes écrits sur des supports en matériaux simples (surtout papyrus et un peu de cuir), une dizaine assez longs et une dizaine de fragments ou de signatures en nabatéen apposées au bas de textes en grec. Il s’agit pour l’essentiel de contrats privés découverts dans les grottes de Nahal Hever, au sud-ouest de la mer Morte et datés de la fin du Ier siècle ap. J.-C. et de la première moitié du IIe. Ces textes sont écrits dans une cursive apparentée à l’écriture sur pierre.
Valeur symbolique
La valeur symbolique du nabatéen ne semble pas devoir être retenue comme un élément essentiel de cette langue. Deux éléments viennent cependant immédiatement à l’esprit :
- le fait que l’écriture arabe dérive du nabatéen s’explique sans doute par le fait que la langue arabe ayant commencé à être écrite dans le nord-ouest de la péninsule Arabique, au sens large, la seule écriture de prestige qui existait dans cette région à l’époque où ce développement a eu lieu, entre le IIIe (surtout le IVe) et le Ve siècle ap. J.-C., était le nabatéen, dont la charge symbolique était donc importante ;
- le formulaire des signatures nabatéennes, souvent accompagnées de souhaits exprimés par les racines dkr (arabe ḏkr), « commémorer » brk, « bénir » et šlm (arabe slm), « être sauf », est très stéréotypé et on le retrouve, quasiment inchangé, dans les inscriptions nabatéo-arabes des IVe et Ve siècles, ce qui témoigne de la valeur symbolique des formules utilisées.
Corpus utile à l’étude du lexique de la paix
Le corpus comprend les inscriptions, dont les textes les plus longs sont publiés dans un certain nombre de recueils aisément accessibles, et les papyri, désormais publiés dans deux volumes de la collection des Judean Desert Studies.
Bibliographie
Grammaire
- Cantineau, J. Le Nabatéen. 2 vol. Paris : Librairie Ernest Leroux, 1930-1932.
Écriture
- Gruendler, B. The Development of the Arabic Scripts. From the Nabatean Era to the First Islamic Century According to Dated Texts. Harvard Semitic Studies. Atlanta : Scholars Press, 1993.
- Nehmé L., « A glimpse of the development of the Nabataean script into Arabic based on old and new epigraphic material », in M. C. A. Macdonald (éd), The development of Arabic as a written language. Supplement to the Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 40. Oxford, Archaeopress, 2010, p. 47-88.
- Yardeni, A. Textbook of Aramaic, Hebrew and Nabataean Documentary Texts from the Judaean Desert and Related Material. A. The Documents. B. Translation, Palaeography, Concordance. The Hebrew University, 2000.
Recueils d’inscriptions et de textes
- CIS. Corpus Inscriptionum Semiticarum. Pars II. Tomus II. Fasc. 1. Sectio Secunda. Inscriptiones Nabataeae. Paris, 1889-.
- Hackl, U., H. Jenni et Chr. Schneider. Quellen Zur Geschichte Der Nabatäer. Novum Testamentum et Orbis Antiquus. Göttingen, 2003.
- Healey, John F. The Nabataean Tomb Inscriptions of Mada’in Salih. Journal of Semitic Studies Supplement 1. Oxford, 1993.
- Commission du Corpus Inscriptionum Semiticarum. Répertoire d’épigraphie sémitique. Imprimerie Nationale, 1900.
- Jaussen A. et Savignac R. 1909-1914 : Mission archéologique en Arabie. I. De Jérusalem au Hedjaz, Médain Saleh. II. El-‘Ela, d'Hégra à Teima, Harrah de Tebouk. (2 volumes). Paris.
- Theeb, S. al-. Mudawwanat al-nuqūš al-nabaṭiyyah fī ʾl-mamlakah al-ʿarabiyyah al-saʿūdiyyah. 2 vol. Al-Riyāḍ : Dārat al-malik ʿabdulʿazīz, 2010.
Papyri
- Healey, John F. « A Nabataean Papyrus Fragment (Bodleian MS Heb. D. 89). » Zeitschrift Für Papyrologie Und Epigraphik 146 (2004) : 183-188.
- Yadin, Y., J.C. Greenfield, A. Yardeni, et B. Levine. The Documents from the Bar Kokhba Period in the Cave of the Letters. Hebrew, Aramaic and Nabataean Aramaic Papyri. Judean Desert Studies. Jerusalem : Israel Exploration Society/The Hebrew University of Jerusalem, 2002.
- Yadin, Y. et J.C. Greenfield. « Aramaic and Nabatean Signatures and Subscriptions. » In The Documents from the Bar Kokhba Period in the Cave of Letters, edited by N. Lewis, 135-149, 162-164 (index). Jerusalem : Israel Exploration Society, 1989.
Textes en ligne
- À venir dans DASI, Digital Archive for the Study of pre-Islamic Arabian Inscriptions : http ://www.dasiproject.eu
Pour citer cet article
L. Nehmé, "Le nabatéen", Les mots de la paix/Terminology of Peace [en ligne], mis en ligne le 15/10/2015, consulté le .