Fiche réalisée par M.-D . Even (CNRS), Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (EPHE/CNRS)
Famille de langue et particularités linguistiques
Le mongol fait partie des langues dites altaïques, subdivisées en trois branches principales : turque, mongole et toungouse-mandchoue. Les populations parlant ces langues sont établies sur une large bande eurasiatique allant de l’Anatolie et la Russie méridionale à l’ouest, à la Mandchourie et l’Extrême-Orient russe à l’est.
Au vu des éléments morphologiques, syntaxiques et lexicaux communs entre ces langues, mais également des correspondances phonétiques régulières démontrant que certaines similarités ne résultaient pas d’emprunts mais indiquaient une ancienne langue commune, d’éminents linguistes (G.J. Ramstedt, N. Poppe, J.C. Street, T. Tekin, S. Starostin, D. Tömörtogoo) ont été convaincus de leur affinité génétique, ou l’ont considérée comme possible mais devant être mieux corroborée (L. Ligeti, A. Benzing). D’autres spécialistes (J. Janhunen, S. Georg, A. Vovin) continuent à la rejeter, à la suite de G. Clauson et de G. Doerfer qui ne voyaient dans les éléments communs que le résultat de contacts et d’emprunts.
Les similarités du coréen et du japonais avec les langues altaïques ont été notées mais une affinité avec ces dernières n’a pas été démontrée de façon convaincante.
Les langues altaïques sont généralement caractérisées, sur le plan phonologique, par l’harmonie vocalique et l’opposition de longueur des phonèmes vocaliques ; sur le plan morphologique, par l’agglutination (formation des mots par suffixation), et sur le plan syntaxique, par un ordre des mots de type SOV et la règle du déterminant précédant le déterminé.
Écritures
L’écriture ouïgouro-mongole
La plus ancienne trace écrite du mongol est la « pierre de Gengis khan », datant de 1225 : cinq lignes gravées en écriture ouïgouro-mongole célébrant l’exploit d’un neveu de Gengis lors d’un concours de tir à l’arc. Découverte en Sibérie méridionale, elle est aujourd’hui au musée de l’Ermitage.
Les Ouïgours avaient succédé aux Türks en Mongolie (744-840) et s’étaient ensuite sédentarisés dans la région de Turfan où ils avaient emprunté et adapté l’écriture sogdienne, dérivée de l’araméen via le syriaque. La langue des Sogdiens, peuple iranien aux puissants réseaux marchands, servait de lingua franca en Asie centrale dans de commerce ainsi que dans la diffusion du manichéisme, du bouddhisme et du christianisme en Chine et dans les khanats des steppes. Les sources chinoises indiquent que c’est à un chancelier ouïgour du khanat des Naiman, partiellement chrétien, que Gengis Khan ordonna en 1204 d’enseigner l’écriture ouïgoure à ses fils, ce qui a conduit à penser que l’alphabet ouïgour avait été emprunté à cette date.
Néanmoins, l’usage de l’écriture ouïgoure pour noter le mongol est antérieur d’au moins un ou deux siècles : en effet, au XIIIe siècle, cette écriture a des règles stables et elle reflète un état de langue plus ancien. Des spécialistes (Ts. Shagdarsürüng) avancent l’hypothèse qu’elle aurait été transmise directement par les Sogdiens à l’un des peuples mongolophones des steppes.
L’écriture ouïgouro-mongole s’écrit, à la différence du sogdien, de haut en bas et de droite à gauche. Elle ne se distingue pas ou peu de l’écriture ouïgoure jusqu’au XVIe siècle, puis elle développe des caractéristiques propres, en particulier à la suite de l’importante (re-)conversion des élites au bouddhisme fin du XVIe, début du XVIIe siècle. Elle reste à ce jour l’écriture officielle des Mongols de Chine et a été utilisée en Mongolie jusqu’à l’adoption d’un alphabet cyrillique en 1941-1946.
De l’écriture ouïgouro-mongole dérivent :
- l’écriture oïrate, dite « claire » (todo üseg), développée par le lama Zaya Pandita en 1648 pour les Mongols occidentaux (préservée par les Kalmouks de la Volga jusqu’à la révolution de 1917, par les Oïrates de l’ouest de la Mongolie jusqu’aux années 1940, et par les Oïrates de l’actuel Xinjiang jusqu’aux années 1990 quand ils furent contraints de passer au ouïgouro-mongol).
- et l’écriture mandchoue : le mandchou a d’abord été écrit directement en ouïgouro-mongol (1599), puis on y a ajouté des signes diacritiques (1632, écriture mandchoue proprement dite).
L’alphabet ’phags-pa
Fidèle à la tradition des conquérants des steppes qui les avaient précédés en territoire chinois (Tangoutes/Xi Xia, Khitans/Liao, Jurchen/Jin), Khubilai souhaita introduire un alphabet « national » qui pourrait noter les principales langues de son empire, tâche qu’il confia à son chapelain tibétain, ’Phags-pa (son titre) : ce dernier créa une écriture syllabique inspirée de l’écriture tibétaine tout en s’écrivant verticalement et en suivant certains principes du ouïgouro-mongol. Cette écriture, également dite « carrée », a surtout été utilisée par les Mongols durant leur règne en Chine (Yuan, 1279-1368), généralement pour des documents officiels, édits, sceaux, stèles.
Étendue chronologique et géographique
N. Poppe (1965, 1976) distingue trois stades principaux de développement du mongol :
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L’ancien mongol (jusqu’au XIIe s.), pour lequel nous n’avons pas de matériel linguistique direct, mais les dialectes toungouso-mandchous, présentent un matériel relativement abondant de mots qui sont clairement des emprunts à l’ancien mongol, et que certains dialectes isolés ont parfois préservé. On sait ainsi qu’il possédait un *p initial devenu f (cf. le f des mots empruntés à l’ancien mongol par le mandchou, et que subsistaient les occlusives intervocaliques *b, *g et *γ.
Une étape déjà avancée de cet ancien mongol est reflétée par la langue de l’écriture ouïgouro-mongole où les initiales *p et *f sont déjà devenues h (que l’écriture ne notait pas, mais elle est présente en moyen-mongol noté en écriture ’phags-pa, plus précise, ou en transcription phonétique dans des sources étrangères).
Exemples :
- ancien mo. *ujapūr ‘origine’ > mandchou fujuri, écriture ouïg-mong. ijaγur, moyen-mongol hija’ur ;
- ancien mo. *kebēr ‘steppe’ > évenke kewer ‘prairie’, écriture ouïg.-mong. keger, moyen-mongol ke’er
- ancien mo. *adugūn ‘troupeau de chevaux’ > évenke adugun, écriture ouïg.-mong aduγun, moyen-mongol adu’un.
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Le moyen-mongol ou mongol médiéval est le mongol parlé du XIIe au XV-XVIe siècle. Il comprend au moins trois dialectes :
- le dialecte oriental, qui a donné le bouriate et le mongol moderne ; il est représenté par la langue de l’Histoire secrète des Mongols, écrite en mongol dans la première moitié du XIIIe s. et qui fut notée phonétiquement en caractères chinois au début des Ming (1368-1644), par le glossaire sino-mongol Hua-yi yi-yu de 1389, et par les textes et inscriptions notés en écriture ‘phags-pa ;
- le dialecte occidental, ancêtre du mogol d’Afghanistan et de l’oïrate, qui est principalement représenté par le mongol des glossaires arabe-mongols et persan-mongols des XIIIe-XIVe siècles tel le Mukaddimat al-Adab ;
- le dialecte méridional d’où sont issus le dagour de Mandchourie, le monguor et le dongxiang de la frontière Gansu-Qinghai ; il n’a pas laissé de traces écrites. La principale caractéristique du moyen-mongol est la préservation de l’initiale h, voire parfois du f < *p, et la disparition des *b, *g et *γ intervocaliques ont disparu : cf. aula < *aγula ‘montagne’ ; ima’an < *imagān.
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Le mongol moderne (à partir du XVIe siècle), avec les dialectes mongols actuels, caractérisés entre autres par la contraction en une voyelle longue des voyelles qui étaient séparées par une consonne intervocalique se sont contractées en voyelle longue : cf. ūla < aula ; yamā > ima’an
Corpus utile à l'étude du lexique de la paix
- Chroniques mongoles préservées par les gengiskhanides (Histoire secrète des Mongols) mais également parties de chroniques mongoles plus tardives qui intègrent des éléments pris dans des chroniques disparues (l’exemple le plus remarquable en est l’Altan Tobci, qui a permis de retrouver, avec des variantes, une grande partie de l’Histoire secrète dont l’original mongol avait été perdu) ;
- lettres adressées par des souverains ou seigneurs mongols, correspondance diplomatique, édits, inscriptions commémoratives sur stèles ;
- glossaires bilingues ;
- descriptions, relations de voyage, histoires rédigées (en persan et chinois principalement) : envoyés chinois (Peng Daxia, Zhang Dehui), relations écrites par les missionnaires des souverains européens, Plan Carpin, et Rubrouck en particulier ; l’histoire rédigée par Juvaini, qui a visité Kharakhorum au milieu du XIVe siècle, mais aussi de Rashid ad-Din, plus tardive mais dont les sources orales et écrites mongoles sont exceptionnelles et apportent de nombreuses informations ; sources chinoises : ‘Histoire des campagnes de Gengis khan’, traduite d’un original mongol, Histoire de la dynastie Yuan (Yuan shi) qui s’appuie sur les pratiques historiographiques chinoises et les documents accumulés sous la dynastie mongole des Yuan.
Bibliographie
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- Bonvini E., Busuttil J. Peyraube A. (dir.), Dictionnaire des langues, Quadrige/PUF, 2011 Cleaves, F. W. : entre autres plusieurs articles sur diverses inscriptions sino-mongoles sur stèles de 1362, 1335, 1338, 1346, 1240, 1348, respectivement parus dans le Harvard Journal of Asian Studies, vol. 12, 13, 14,15, 23
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- Kotwicz W., Les Mongols, promoteurs de l’idée de paix universelle au début du XIIIe siècle, Rocznik Orientalisttyczny 16, 1950, pp. 199-204
- Ligeti, L., Un vocabulaire mongol d’Istanbul, Acta Orientalia Hungarica 14, 1962, pp. 3-99
- Lewicki, M., La langue mongole des transcriptions chinoises du XIVe siècle, le Hua-yi yi-yu de 1389, Wroclaw 1949 (I) et 1959 (II)
- — Les inscriptions mongoles en écriture carrée, Collectanea Orientalia, 12, Wilno, 1937 Mostaert, A., Le matériel mongol du Houa i i iu de Hong-ou (1389), Bruxelles, I (1977) et II (1995)
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- Pelliot, P., Les Mongols et la Papauté, Revue de l’Orient Chrétien, 23, 1922-1923
- Poppe, N., Mongols’ksii slovar’ Mukaddimat al-Adab, parts 1-III, Moscou-Leningrad, 1938-1939
- — The Mongolian Monuments in ’Phags-pa Script, second edition translated by J.R. Krueger, Wiesbaden, 1957
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- Rachewiltz, I. de, The Secret History of the Mongols, translated with a historical and philological commentary, 2 volumes, Leiden-Boston, Brill, 2004
- Rashid al-Din. The Successors of Genghis Khan, tr. J.A. Boyle, NY, Columbia UP, 1971
- Rashiduddin Fazlullah, Jami‘u’t-tawarikh : Compendium of Chronicles (3 parts), A History of the Mongols. Translated and annotated by W. Thackston. Cambridge, Mass., 1998-99
- Shagdarsürüng, Ts, Mongolčuudiin üseg bicigiin tovčoon (Histoire des écritures des Mongols), Oulan-Bator, Urlakh Erdem Press, 2001
- Sumyabaatar, B., The Secret history of the Mongols (transcription phonétique en caractères chinois avec leur prononciation et restitution du texte mongol en écriture ouïgouro-mongole et en romanisation), Oulan-Bator, Presses d’Etat D. Süxbaatar, 1990
- Tömörtogoo, D., Mongol xelšinžileliin onol, tüüxiin asuudaluud (Questions théoriques et historiques de linguistique mongole), Oulan-Bator, 2002
- Yuan shi (édition par Song Lian de l’histoire dynastique des Yuan compilée en 1370), 15 vol., Pékin, Zhonghua Shuju, 1976
Principaux dictionnaires modernes utilisés :
- le dictionnaire du mongol ordos de A. Mostaert (Dictionnaire Ordos, Monumenta Serica, Université catholique de Pékin, 1941-1944) ;
- le dictionnaire du mongol kalmouk de G.J. Ramsted (Kalmückisches Wörterbuch, Helsinki, Suomalais-Ugrilainen Seura,1935) ;
- le dictionnaire explicatif de Ya. Tsevel (Mongol xelnii tovč tailba toli, 1966 et sa nouvelle édition revue et augmentée parue en 2013)
- le dictionnaire en cinq volumes de l’Académie des sciences de Mongolie (Mongol xelnii delgerengüi tailbar toli, Oulan-Bator, 2008).
Pour citer cet article
M.-D . Even, "La langue mongole", Les mots de la paix/Terminology of Peace [en ligne], mis en ligne le 15 octobre 2015 (consulté le jj/mm/aaaa)
URL : http://www.islam-medieval.cnrs.fr/MotsDeLaPaix/index.php/fr/mongol