Langues sudarabiques épigraphiques : sabaic, minaic, qatabanic, hadramaic

Fiche élaborée par Mounir Arbach, CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, « Mondes sémitiques anciens », Paris

Si l’on suit le nouveau classement des langues sémitiques, les langues sudarabiques épigraphiques font partie, comme l’hébreu, l’araméen et l’arabe, du groupe « sémitique central ».

À ce jour, quatre langues sudarabiques épigraphiques sont reconnues comme telles : le sabaic, le minaic (appelé également madhābien), le qatabanic et le hadramaic. Ces quatre langues ont été utilisées respectivement par les quatre royaumes sudarabiques : Sabaʾ, Maʿīn, Qatabān et le Ḥaḍramawt.

Seul le sabaic, le mieux documenté, a été utilisé tout au long de l’histoire de la civilisation de l’Arabie du Sud, du VIIIe s. AC au VIe s. PC. Quant aux autres langues sudarabiques, elles ont été supplantées à des périodes différentes par le sabaic, avec la disparation des royaumes de Maʿīn au tournant notre ère, de Qatabān vers la fin du IIe s. PC et enfin, du Ḥaḍramawt au début du IVe s. PC.

Comme les autres langues sémitiques, les langues sudarabiques épigraphiques sont des langues à racines consonantiques.

Les langues sudarabiques se distinguent par l’utilisation des articles défini, n/hn, et indéfini, m, suffixés aux noms. Le sabaic a la forme factitive en hfʿl et les pronoms possessifs en –hw/h/hmy/hwmw /hn ; les trois autres langues sudarabiques ; minaic, qatabanic et hadramaic, en s1fʿl et pour les pronoms en –s1/s1w, s1ww, s1yw, s1my/s1mn/s1m/s1n et -s3/th/thyw (f.s.) -s1mn/s1my/s1myn (msc./f. duel) pour le hadramaic.

En raison d’ambitions politiques et des conquêtes militaires menées par des souverains de Sabaʾ d’unifier l’ensemble des royaumes sudarabiques, le sabaic a servi de modèle aux autres langues sudarabiques épigraphiques aux VIIIe et VIIe s. av. J.-C.

L’écriture sudarabique épigraphique est alphabétique ; elle est composée de 29 lettres, avec trois sifflantes (s1, s2, s3), dont l’ordre, h l ḥ m..., a été élaboré et inventé au Levant (Syrie-Palestine) vers le XIVe s. AC. Les voyelles ne sont pas notées, comme dans toutes les langues sémitiques épigraphiques, les trois lettres, alif, wāw et , sont des semi-consonnes/semi-voyelles.

Grâce aux échanges commerciaux entre l’Arabie du Sud et le Proche-Orient, l’écriture sudarabique est attestée dans toute la péninsule Arabique, en Palestine, en Égypte et en Grèce sur le l’île de Délos.

L’écriture sudarabique épigraphique fut introduite par les Sabéens en Éthiopie dès le VIIe s. AC. Au IIe s. PC, les contacts entre l’Arabie du Sud et l’Éthiopie reprirent, les inscriptions laissées par les souverains d’Aksum (Ier-VIe s. è. chrétienne) sont en écriture sudarabique, avec des formes des lettres cursives. Au IVe s. PC le christianisme fut introduite en Éthiopie, une réforme de l’écriture a été également introduite en changeant le sens de l’écriture, qui devint de gauche à droite, et en notant les voyelles : l’écriture éthiopienne devint alors une écriture syllabaire.

Les plus anciennes attestations des langues sudarabiques remontent au début du Ier millénaire AC. en ce qui concerne les minuscules inscriptions incisées sur des bâtonnets de palmier, et vers le IXe-VIIIe s. AC. en ce qui concerne les inscriptions monumentales laissées, pour la plupart, par des souverains. Les dernières inscriptions, rédigées en sabaic, datent d’environ 570 PC.

À l’avènement de l’Islam, la civilisation de l’Arabie du Sud est éteinte ; la langue arabe, déjà utilisée par une partie de la population en Arabie du Sud, supplanta progressivement le sabaic. Quant à l’écriture sudarabique épigraphique, elle semble avoir été également supplantée par l’écriture arabe, déjà en usage dans l’oasis de Najrān, dès le début de l’Islam.

Les langues sudarabiques étaient utilisées principalement en Arabie du Sud, le Yémen actuel, en Oman dans la partie occidentale où les Hadramis ont fondé le port de Khôr Rôrî, vers le IIe s. AC. Des comptoirs commerciaux ont été également fondés par les Minéens en Arabie ; une colonie minéenne s’est établie à al-ʿUlà, l’antique Dédan, entre le VIe-IIe s. AC.

Les inscriptions

Le nombre d’inscriptions sudarabiques ne cesse d’augmenter. On compte aujourd’hui près de 15 000 inscriptions monumentales dans les quatre langues sudarabiques, dont le sabaic est le mieux documenté et le mieux connu. Quelques milliers de textes en écriture minuscule ont été également découverts ces dernières années ; ils relèvent de la vie quotidienne et économique en Arabie du Sud.

La nature des inscriptions sudarabiques est en grande partie dédicatoire/religieuse liée aux cultes et commémorative. Et lon constate une absence de littérature mythologique et d’annales. Les textes juridiques (décrets, règlements, lois, etc.) sont également rares. Quant aux textes historiques rapportant des événements et des faits marquants des règnes, on possède quelques textes fondamentaux datant du Ier millénaire AC. ; ils sont plus fréquents pour la période des Ier-VIe siècles PC.

C’est sur ce corpus des textes historiques que la recherche sur les mots de la paix va être réalisée.

Jusqu’aux années 1980, faute de documents suffisants, on considérait les langues sudarabiques comme étant des dialectes rattachés à une langue mère dont le sabaic aurait joué un rôle prédominant. Avec la multiplication des nouvelles découvertes d’inscriptions en minaic, qatabanic et en hadramaic, il s’est avéré que nous avons affaire à quatre langues dont le sabaic et le minaic (nord-nord-est du Yémen) présentent des affinités lexicales et morphologiques avec l’hébreu, l’araméen et l’arabe ; le qatabanic et le hadramaic (sud-ouest/sud-est du Yémen) constituent un autre ensemble, ayant des affinités avec les langues du groupe sud-sémitique, notamment avec l’éthiopien. Bien que des racines communes soient attestées dans les quatre langues sudarabiques épigraphiques, chaque langue a ses spécificités lexicales, notamment le qatabanic et le ḥaḍramaic dont le lexique comporte un certain nombre de mots ayant une seule occurrence, des hapax, dont l’interprétation pose des problèmes.

Enfin, les liens entre les langues sudarabiques épigraphiques et les langues sudarabiques modernes (soqotri, mehri, jebbali, etc.), qui font partie comme l’éthiopien du groupe du « sud-sémitique », restent à prouver.

Base de données

Avec le développement des nouvelles technologies informatiques, une base de données des inscriptions sudarabiques a été créée, Corpus of South Arabian Inscriptions (CSAI : DASI – Digital Archive for the Study of pre-Islamic Arabian Inscriptions [http://dasi.humnet.unipi.it/].) C’est un instrument de travail très utile pour la recherche lexicale et onomastique, ainsi que pour la recherche bibliographique pour chaque inscription. Les corpus du minaic, du qatabanic et du hadramaic est complet, celui des inscriptions en sabaic reste à compléter.

Recueils d’inscriptions sudarabiques épigraphiques publiés par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

Plusieurs recueils d’inscriptions sudarabiques épigraphiques sont à ce jour publiés par l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres – CIH, RES, CIAS et CSAI.

  • CIH

    Corpus Inscriptionum Semiticarum ab Academia Inscriptionum et Litterarum Humaniorum conditum atque digestum. Litterarum Humaniorum conditum atque digestum IV. Inscriptiones Ḥmyariticas et Sabaeas continens, Paris (Imprimerie nationale), tomus I-III (1889-1930).

  • RES

    Répertoire d’Epigraphie Sémitique, tome I-VIII (1900-1967).

  • CIAS

    Corpus des Inscriptions et Antiquités Sud-Arabes, tome 1-2 (1977, 1986).

  • CSAI

    Corpus of South Arabian Inscriptions I-III. Qatabanic, Marginal Qatabanic, Awsanite Inscriptions (2004).

  • IIS

    Inventaire des Inscriptions Sudarabiques, tome I-VIII (1992-2007)

Dictionnaires et grammaires

Plusieurs dictionnaires et grammaires des langues sudarabiques épigraphiques ont été déjà publiés. Un projet de mise à jour de ces lexiques est en cours de réalisation par des groupes de chercheurs européens (France, Allemagne et Italie).

Pour le sabaic

  • Höfner (Maria), Altsüdarabische Grammatik (Porta linguarum orientalium, XXIV), Leipzig (Otto Harrassowitz), 1943.
  • Biella (Joan Copeland), Dictionary of Old South Arabic, Sabaean Dialect (Harvard Semitic Museum, Harvard Semitic Studies, 25), Chico, CA (Scholars Press), 1982.
  • Beeston (A.F.L.), Sabaic Grammar (Journal of Semitic Studies, monograph No. 6), Manchester (JSS, University of Manchester), 1984.
  • Beeston (A.F.L.), Ghul (M.A.), Müller (W.W.), Ryckmans (J.), Sabaic Dictionary (English-French-Arabic) - Dictionnaire sabéen (anglais-français-arabe) - al-Mu‘jam as-saba’ī (bi-l-inglīziyya wa-l-firansiyya wa-l-‘arabiyya) (Publication of the University of Sanaa), Louvain-la-Neuve (Éditions Peeters) - Beyrouth (Librairie du Liban), 1984.
  • Iryānī (Muṭahhar), Al-Muʿjam al-yamanī –alif-. Fī al-lugha wa-l-turāṯ. Ḥawla mufradāt khāṣṣa mina al-lahajāt al-yamaniyya. Dār al-fikr, Dimashq, 1996.
  • Stein (Peter), Lehrbuch der sabäischen Sprache. 1. Teil : Grammatik. Silo (Subsidia et Instrumenta Linguarum Orientis, 4,1), Harrassowitz Verlag. Weisbaden, 2013.

Pour le qatabanic

  • Ricks (Stephen D.), Lexicon of Inscriptional Qatabanian (Studia Pohl, 14), Roma (Editrice Pontificio Istituto Biblico), 1989.

Pour le minaic

  • Arbach (Mounir) Le madhābien : lexique, onomastique et grammaire d’une langue de l’Arabie du Sud préislamique, (tome I-III), Université d’Aix-Marseille, 1993.
    • Tome I: Lexique madhābien comparé aux lexiques sabéen, qatabānite et ḥaḍramawtique ;
    • Tome II: Répertoire des noms propres madhābiens ;
    • Tome III: Grammaire madhābienne.
  • Encyclopédie yéménite, Tome I-IV, Mu’assasat al-ʿAfīf al-Thaqafiyya, Sanaa, 2003.
  • Encyclopédie de l’Islam, nouvelle édition, Brill.

Les grands textes fondateurs

  • Inscriptions sabaic des VIIIe, VIIIe et VIe siècle AC (DAI 2005-50, RES 3945-3946, RES 3943, Ja 555, Demrjian 1, etc.) : ces textes, qui sont des bilans des règnes, constituent la source historique principale pour la reconstitution de l’histoire politique des cités et royaumes sudarabiques alors en cours de formation.
  • Inscriptions qatabanic et minéennes des VIIIe, VIIe et VIe siècle AC. (RES 3858 ; YM 2009, Maʿīn 102, 112, as-Sawdāʾ 89, etc.) : ces textes rapportent également des événements historiques liés à la formation des cités et Etats de l’Arabie du Sud.
  • Inscriptions des IVe, IIIe et Ier s. AC. (M 222, M 247 ; A-20-206 ; CIH 291 + Ry 547 ; Arbach-Sayʾūn 1; al-Ḥājj-al-ʿĀdī, etc.) : ce groupe des textes historiques attestent des synchronismes entre les royaumes sudarabiques et les Proche-Orient.
  • Inscriptions sabéennes des Ier au IIIe s. PC (inscriptions de Maḥram Bilqīs de Maʾrib: ce sont des textes laissés par les souverains de Saba’/Ḥimyar relatant les principaux événements de cette période marquée par des conflits qui opposaient les royaumes sudarabiques et qui ont abouti à l’unification de l’Arabie du Sud par Ḥimyar, à la fin du IIIe s. PC.
  • Inscriptions historiques des IVe-VIe s. PC : ces textes fournissent des données historiques précieuses relatant l’expansion et le contrôle des souverains de Ḥimyar de l’Arabie centrale.

La recherche sur les vocabulaires relatifs à la paix est intrinsèquement liée aux contextes historiques et à la chronologie des événements relatés par les inscriptions historiques.

Plusieurs mots liés à la paix/alliance/fraternité/ambassade sont attestés dans les quatre langues sudarabiques épigraphiques. L’étude des mots de la paix, en opposition aux termes liés à la guerre/conflit, révélera que l’histoire événementielle des civilisations antiques, toujours à la recherche d’une paix durable, se répétera jusqu’à nos jours.

M. Arbach, "Les langues sudarabiques épigraphiques : sabaic, minaic, qatabanic, hadramaic", Les mots de la paix/Terminology of Peace [en ligne], mis en ligne le 15 octobre 2015, consulté le

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